CHAPITRE VI : CEUX QUI ETAIENT DANS LES PALAIS IMPERIAUX
[1] Au-dessus de tous ceux qui ont été jamais célébrés comme dignes d'admiration et vantés pour leur courage soit chez les Grecs, soit chez les barbares, l'époque présente a placé les divins et glorieux martyrs que furent les serviteurs impériaux, compagnons de Dorothée. Leurs maîtres les avaient jugés dignes de la plus haute distinction et leur avaient donné l'affection qu'ils portaient à leurs propres enfants. Mais ces chrétiens estimèrent comme un trésor véritablement plus grand que la gloire et le plaisir du monde, les opprobres endurés pour la religion, les souffrances, les genres de mort variés inventés pour eux. Nous ne rappellerons que pour un seul d'entre eux quelle fut la fin de sa vie et nous laisserons voir par là ce qui est arrivé aux autres.
[2] On en fit comparaître un dans la ville citée plus haut [Nicomédie] devant les princes dont nous avons parlé et on lui ordonna de sacrifier; comme il refusait, on commanda de l'élever tout nu en l'air et avec des fouets de lui déchirer tout le corps jusqu'à ce que, vaincu, il fût contraint de faire ce qui était ordonné. [3] Comme il souffrait cela sans être ébranlé, on se mit alors à arroser ses os mis à 441 nu avec du vinaigre mêlé de sel et on en versa sur les parties de son corps complètement meurtries ; il méprisa encore ces souffrances ; alors on traîna un gril et du feu, et comme on fait pour les viandes qu'on veut manger, on exposa ce qui restait de son corps à la flamme, non pas d'une façon brutale, de peur qu'il ne mourût rapidement, mais afin qu'il pérît petit à petit. Ceux qui l'avaient placé sur le foyer n'avaient pas l'autorisation de le délier avant qu'il n'eût, après de telles souffrances, fait signe qu'il consentait à ce qui était ordonné, [4] Mais il garda sa résolution sans lâcher prise, et vainqueur dans ces tortures il rendit l'âme. Tel fut le martyre de l'un des serviteurs impériaux ; il était bien réellement digne de son nom : il s'appelait Pierre.
[5] Les supplices des autres ne furent eux aussi pas moindres; pour faire l'épargne d'un récit qui leur soit proportionné, nous les laisserons, et nous dirons seulement que Dorothée et Gorgonius, ainsi que beaucoup d'autres de la domesticité impériale, après des combats multiples, perdirent la vie par la strangulation et remportèrent les prix de la divine victoire.
[6] A cette époque celui qui alors présidait à l'église de Nicomédie, Anthime, à cause du témoignage qu'il rendit au Christ, fut décapité et on lui adjoignit une multitude nombreuse de martyrs. Un incendie se déclara, je ne sais comment, dans les palais impériaux de Nicomédie ces jours mêmes. Sur un soupçon mensonger, la rumeur se répandit qu'il avait été allumé par les nôtres ; alors les chrétiens de l'endroit en masse et sans distinction, sur un ordre impérial, furent les uns égorgés par le glaive, les autres mis à mort par le feu, et on raconte 443 qu'emportés par un zèle divin et indicible, des hommes et des femmes s'élancèrent dans le bûcher ; les bourreaux en lièrent une foule d'autres sur des barques et les précipitèrent dans les abîmes de la mer. [7] Les serviteurs impériaux, après leur mort, avaient été confiés à la terre avec les honneurs qui convenaient ; on revint encore les exhumer pour les jeter à la mer. Ceux qu'on regardait comme les maîtres estimaient qu'il le fallait, de peur que, s'ils reposaient dans des tombeaux certains ne vinssent à les adorer et ne les tinssent pour des dieux, ainsi du moins qu'ils pensaient. Tels furent les événements accomplis à Nicomédie au commencement de la persécution.
[8] Peu après, certaines gens dans le pays appelé Mélitène et d'autres aussi en Syrie tentèrent de s'emparer de l'empire; un ordre impérial arriva de mettre en prison et dans les chaînes tous les chefs des églises.1 [9] Le spectacle de ce qui arriva alors dépasse tout récit : partout une multitude immense de gens étaient emprisonnés et les prisons de chaque localité préparées de toute antiquité pour des assassins et des violateurs de tombeaux étaient maintenant remplies d'évêques, de prêtres, de diacres, de lecteurs, d'exorcistes, si bien qu'il n'y restait plus de place pour ceux qui étaient condamnés pour crimes.
[10] Ces premiers édits furent de nouveau suivis de près par d'autres, dans lesquels il était ordonné ,1e laisser les prisonniers qui sacrifiaient aller en liberté, mais, pour ceux qui s'obstinaient, de les tourmenter par mille tortures. Comment encore pourrait-on compter ici le nombre des martyrs de chaque province, surtout en Afrique, dans la nation 445 des Martyrs, en Thébaïde et en Egypte ? Un certain nombre ayant émigré de ce pays en d'autres villes et provinces s'y distinguèrent par leurs martyres.2