5.
Et, pour qu'on ne suppose pas que ces paroles se rapportent à un homme de la multitude, ce n'est pas Isaïe qui les prononce, ni Jérémie, ni quelqu'autre prophète d'une condition privée, mais c'est le Prophète-roi lui-même : or, un roi ne peut appeler personne son Seigneur, sinon Dieu seul. S'il avait été d'une condition privée, peut-être quelque effronté aurait-il dit qu'il parle d'un homme; mais un roi, comme il l'était, n'aurait pas appelé un homme son Seigneur. Comment, en effet, s'il avait ainsi parlé d'un homme de la multitude, David aurait-il dit que cet homme était assis à la droite de cette ineffable et souveraine Majesté? Cela n'aurait pas de sens. Voici donc ce que David dit de Jésus-Christ : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marche-pied (Ps. CIX, 1, 2.) Ensuite, pour montrer qu'il parle de quelqu'un de fort et de puissant, le Prophète ajoute : Avec vous est la principauté, au jour de votre puissance. (Ibid. VIII, 3.) Désignant encore plus manifestement le même Jésus-Christ, il dit : Je vous ai engendré de mon sein avant l'étoile du matin. Or, avant l'étoile du matin aucun homme n'a été engendré. Vous êtes prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech. (Ibid. VIII, 4; Héb. V, 6.) Il ne dit pas selon l'ordre d'Aaron. Demandez donc aux Juifs pourquoi, si l'ancien sacerdoce ne devait pas être détruit, le Saint-Esprit introduit ici un prêtre selon l'ordre de Melchisédech.
Saint Paul a lui-même éclairci ce passage. Après avoir dit de Jésus-Christ : Vous êtes prêtre selon l'ordre de Melchisédech (Ib. V, 11), il ajoute : Sur quoi j'aurais à dire de grandes choses, mais difficiles à expliquer. Puis , après une réprimande faite aux disciples, réprimande que je ne citerai pas pour abréger, il dit ce qu'est Melchisédech, et il rapporte son histoire en ces termes (Ib. VII, 1, 2.) : C'est ce Melchisédech qui rencontra Abraham lorsque celui-ci revenait de tailler en pièces les rois, qui le bénit, et à qui Abraham accorda la dîme de tout le butin. Ensuite découvrant le sens caché de la figure: Considérez, dit-il, combien grand était celui-ci, à qui le patriarche Abraham donna la dîme de ses plus riches dépouilles. (Ib. V. 4.) Et ce commentaire, l'Apôtre ne le fait pas au hasard, mais dans le dessein de faire voir que notre sacerdoce est de beaucoup préférable à celui des Juifs. La figure même fait apercevoir par avance l'excellence de la réalité. Abraham était père d'Isaac, aïeul de Jacob, et bisaïeul de Lévi, puisque Lévi était fils de Jacob. Or, le sacerdoce, chez les Juifs, tire son origine de Lévi. Mais, ce même Abraham, ancêtre des Lévites et des prêtres juifs, a gardé le rang. de laïque sous Melchisédech, qui était la figure de notre sacerdoce, et il l'a clairement montré de deux manières : en lui donnant la dîme, puisque ce sont les laïques qui donnent la dîme aux prêtres; et en recevant de lui la bénédiction, puisque les laïques sont bénits par les prêtres. Voyez encore combien grande est l'excellence de notre sacerdoce , puisqu'on trouve Abraham, le patriarche des Juifs et l'aïeul des Lévites, béni par Melchisédech et lui donnant la dîme. (Genès. XIV.) L'Ancien Testament, en effet, atteste ces deux choses : et que Melchisédech bénit Abraham, et qu'il en reçut la dîme. Ayant donc exposé ces faits, Paul disait : Considérez combien grand était celui-ci. Qui, celui-ci? Melchisédech, à qui le patriarche Abraham a donné la dîme de ce riche butin. Les fils de Lévi qui reçoivent le sacerdoce ont aussi l'ordre de lever la dîme sur le peuple, c'est-à-dire, sur leurs frères, bien qu'ils descendent comme eux d'Abraham. (Héb. VII, 4, 5.) Voici le sens de ces paroles Les Lévites , qui sont prêtres chez les Juifs, sont autorisés par la Loi à recevoir les dîmes des autres Juifs. Bien que les Lévites descendent d'Abraham, comme le reste du peuple, ils reçoivent néanmoins les dîmes de leurs frères. Mais Melchisédech qui ne descendait pas d'Abraham, qui par conséquent n'appartenait pas à la tribu lévitique, Melchisédech, entendez bien, qui n'était pas de la race d'Abraham, leva la dîme sur Abraham. Abraham lui paya volontairement la dîme. Il y a plus, Melchisédech bénit encore celui qui avait reçu les promesses, Abraham lui-même. Que conclure de là? Qu'Abraham était inférieur à Melchisédech, parce que, sans contredit, celui qui reçoit la bénédiction est inférieur à celui qui la donne. (Ibid. V, 7.) Par conséquent, si Abraham, l'aïeul des Lévites, n'avait pas été inférieur à Melchisédech, celui-ci ne l'aurait pas béni, et Abraham n'aurait pas non plus donné la dîme à Melchisédech. Puis, insistant sur ce point, l'Apôtre poursuit en ces termes : De sorte que Lévi, qui reçoit les dîmes, les a pour ainsi dire payées lui-même dans la personne d'Abraham. (Ibid. 9.) Quoi donc : Lévi a payé la dîme ? Oui, l'Apôtre l'affirme, avant qu'il fût né, Lévi a donné la dîme à Melchisédech dans la personne de son père. Car, il était encore dans Abraham, son père, quand Melchisédech rencontra celui-ci; et comme cette vérité pouvait surprendre, l'Apôtre ajoute Pour le dire ainsi. A quoi tend ce raisonnement? Saint Paul nous l'apprend par ce qu'il ajoute : Si donc la perfection était attachée au sacerdoce lévitique, sous lequel le peuple a reçu la Loi, quel besoin y avait-il encore qu'il s'élevât un autre prêtre selon l'ordre de Melchisédech, et non selon l'ordre d'Aaron? (Ibid. 11.) Comprenez bien le sens de ces paroles, elles veulent dire ceci : Si les institutions judaïques avaient été parfaites, si la Loi avait été autre chose que l'ombre des biens à venir, si elle avait pu consommer heureusement l'oeuvre du salut du monde, si elle n'avait pas dû céder la place à une autre loi; et si le premier sacerdoce n'avait pas été destiné à disparaître- pour faire place a un autre, le Prophète n'aurait pas dit : Tu es prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech! (Ps. CIX, 4.) Il fallait dire alors : Selon l'ordre d'Aaron. Saint Paul a donc raison de dire : Si la perfection était attachée au sacerdoce lévitique, quel besoin y avait-il. encore qu'il s'élevât un autre prêtre, appelé prêtre selon l'ordre de Melchisédech, et non selon l'ordre d'Aaron? Il est évident par là que ce sacerdoce a pris fin, et qu'un autre lui a été substitué , bien meilleur et plus sublime.
Ce point une fois établi, on conviendra aussi qu'en même temps ont dû être introduites d'autres institutions en rapport avec le nouveau sacerdoce, à savoir, les nôtres, ainsi qu'une législation meilleure. C'est ce que saint Paul déclare quand il dit : Le sacerdoce étant changé, il est nécessaire qu'il y ait un changement de loi, et ces choses sont l'oeuvre d'un seul. (Héb. VII, 12.) La plupart des prescriptions légales étant relatives au ministère sacerdotal, puisque le premier sacerdoce a été rejeté, pour faire place à un autre plus sublime, il est bien évident qu'il fallait aussi qu'une législation plus parfaite fût substituée à la première. Ensuite il devient plus précis et désigne clairement celui à qui se rapportent ces paroles : Celui dont il est ainsi parlé, dit-il, fait partie d'une autre tribu dont aucun membre n'a servi à l'autel. Il est certain en effet que Notre-Seigneur est sorti de Juda, tribu à laquelle Moïse n'a jamais attribué le sacerdoce. (Héb. VII, 13, 14.) Quand donc il est constant que Jésus-Christ est de la tribu de Juda, et qu'il est prêtre selon l'ordre de Melchisédech, comme Melchisédech est bien plus vénérable qu'Abraham, n'est-on pas obligé de reconnaître qu'un sacerdoce beaucoup plus sublime que l'autre a été introduit par Jésus-Christ dans le monde à la place du premier. Si le sacerdoce judaïque n'égalait pas en dignité celui de Melchisédech, à quelle distance ne restera-t-il pas au-dessous du sacerdoce de Jésus-Christ dont celui de Melchisédech n'était que l'ombre et la figure ! C'est aussi ce qu'ajoute saint Paul : Et ceci paraît encore plus clairement, s'il s'élève un autre prêtre à la ressemblance de Melchisédech, qui n'est point établi selon la loi d'une succession charnelle, mais selon la puissance d'une vie immortelle. (Ibid. V, 15, 16.) Qu'est-ce à dire : non selon la loi d'une succession charnelle, mais selon la puissance d'une vie immortelle ? Cela signifie qu'il n'y a rien de charnel dans ses commandements. Le Christ, en effet, n'a pas ordonné d'immoler des brebis ni des veaux, mais de servir Dieu par la vertu de l'âme, et il nous a assigné, pour prix de ces combats, une vie qui ne finira jamais. De plus, en venant, il nous a ressuscités, nous qui étions morts par les péchés, et il nous a vivifiés, en détruisant une double mort, celle du péché et celle de la chair. C'est à cause de ces biens spirituels qu'il est venu nous apporter que saint Paul dit : Non selon la loi d'une succession charnelle, mais selon la puissance d'une vie impérissable.