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Où sont donc ceux qui demandent des prodiges et des miracles? Qu’ils reconnaissent enfin que tout ce que nous devons désirer, c’est d’avoir un esprit sage et une volonté reconnaissante envers Dieu; et que lorsque cela nous manque tous les miracles sont inutiles. Les Ninivites ont cru sans avoir vu de miracles, et les Juifs, après tant de prodiges, sont devenus pires qu’auparavant. Ils ont été possédés de nouveau par des démons encore plus furieux, et ils se sont attiré un déluge de maux. Et certes c’est avec justice, puisque celui qui une fois délivré d’une affliction temporelle, n’en devient pas plus sage et plus retenu, mérite d’en souffrir une encore plus grande.
C’est pourquoi Jésus-Christ dit que ce démon , après qu’il est sorti, «ne trouve plus de repos,» c’est-à-dire, qu’il attaquera de nouveau l’homme où il était avec tarit d’adresse qu’il y rentrera une seconde fois. Ces deux choses les devaient faire rentrer en eux-mêmes: les maux qu’ils avaient soufferts et la délivrance qu’ils en avaient obtenue. Une troisième devait même encore leur faire plus d’impression, savoir, la crainte de tomber dans un état encore plus funeste que le premier.
Mais ce qui se passe aujourd’hui nous fait bien voir que ces paroles n’ont pas été seulement dites pour les Juifs. Elles nous regardent comme eux, puisqu’après avoir été éclairés de la lumière de Dieu, et avoir renoncé à nos anciens égarements, nous y retombons encore. Faut-il douter après cela que les péchés que nous commettons maintenant ne soient un jour plus sévèrement punis ? C’est l’avis que Jésus-Christ donnait au paralytique : « Vous voilà maintenant guéri, ne péchez plus, de peur qu’il ne vous arrive pis. » (Jean, V, 14.)
Vous me demanderez peut-être ce qui pouvait arriver de pis à un homme qui était paralytique depuis trente-huit ans. Mais hélas! (344) qu’il était facile à Dieu de le faire souffrir davantage. Dieu nous garde d’éprouver tout ce qu’un homme est capable d’endurer de maux. Dieu a des trésors de supplices et de peines. Sa colère est aussi infinie que sa miséricorde. C’est le reproche qu’il fait par Ezéchiel à Jérusalem: « Je vous ai trouvée toute souillée de sang, je vous ai lavée, j’ai répandu sur vous mes parfums, on a admiré voire beauté. Et après cela vous vous êtes honteusement abandonnée à tous les peuples voisins de votre pays. C’est pourquoi je me prépare, dit le Seigneur, à me venger de votre crime avec plus de sévérité que jamais. » (Ezéch. XVII, 7.) Ne considérez pas seulement dans ces paroles quelle est la vengeance de Dieu, mais encore combien sa patience est infinie. Combien de fois l’avons-nous irrité par nos crimes, sans qu’il cesse pour cela de nous traiter avec douceur?
Cependant n’ayons pas trop confiance, mais craignons plutôt. Si Pharaon était rentré dans lui-même à la première plaie dont Dieu le frappa, il n’aurait point senti les suivantes, et il n’aurait point péri enfin dans lamer avec toute son armée. Je rapporte à dessein cet exemple, parce qu’il y a bien des personnes aujourd’hui qui disent comme Pharaon: « Je ne sais pas qui est Dieu, je ne le connais point (Exod. III. 7), » et qui tiennent comme lui leurs sujets attachés à la boue et à l’argile. Combien, lorsque Dieu nous défend d’être durs même en paroles envers nos serviteurs, combien se montrent impitoyables dans. les travaux qu’ils leur imposent. Ces imitateurs e Pharaon ne seront point abîmés dans la mer Rouge,. mais ils seront précipités dans une mer dont les flots sont de feu, d’un feu étrange et horrible. Car c’est un abîme qui n’a point de fond, dont la flamme vive et subtile court de toutes parts, et cause une douleur si cuisante, qu’elle surpasse sans comparaison toutes les morsures des bêtes les plus cruelles. Que si le feu de la fournaise de Babylone, quoique sensible et matériel, se lança avec tant d’impétuosité sur ceux qui environnaient les trois jeunes hommes, que fera ce feu infernal sur ceux qui y seront précipités ?
Considérez comment les prophètes parlent de ce jour terrible : « Le jour du Seigneur est un jour inévitable et sans remède, un jour plein de colère et de fureur. » (Isaïe, XIII, 7.) Il n’y aura personne alors pour nous secourir. Il n’y aura personne qui nous puisse tirer d’un si grand malheur, et ce visage si doux du Sauveur nous sera caché pour jamais. Tels que ceux qui sont condamnés aux mines sont livrés à des hommes sévères et impitoyables, et que sans pouvoir être vus d’aucun de leurs amis ou de leurs proches, ils ne voient que ceux qui sont établis pour les accabler de travail; tels ces malheureux. ne verront que les démons qui ne se lasseront jamais de les tourmenter. Mais je dis trop peu. Tout ce que nous voyons en ce monde n’a point de rapport avec cet état. Nous pouvons ici nous adresser à l’empereur. Nous pouvons lui demander et obtenir grâce pour les criminels; mais la condamnation de ceux qui vont en enfer est entièrement irrévocable. Ils ne sortent jamais de ces abîmes, de feu. Ils y demeureront accablés de douleurs et plongés, dans des maux qui sont au-dessus et de nos paroles et de nos pensées. Si nous ne pouvons concevoir ni exprimer la peine de ceux qui passent par ce feu sensible et matériel qui est sur la terre combien moins pourrait-on représenter les tourments de ceux qui brûlent dans ces flammes qui ne s’éteindront jamais? Un homme qu’on jette ici dans le feu y est consumé en un moment.; mais ce feu-là brûle toujours, et il ne consume jamais.
Que ferons-nous donc, mes frères, dans ces lieux horribles? Car je me dis cela à moi-même aussi bien qu’à vous.
Vous me direz peut-être : Si vous, qui nous apprenez à connaître et à servir Dieu, vous dites ces choses pour vous-même, à quoi bon me donner une peine:inutile? Car quelle merveille que je tombe dans ce malheur, si ceux qui me conduisent y peuvent tomber aussi.? Ah! mes frères, ne vous consolez point d’une manière si malheureuse. Ce n’est point, là une consolation, c’est un désespoir. Car, dites-moi, je vous prie, le, démon n’est-il pas une, puissance incorporelle? N’est-il pas par sa nature élevé au-dessus des hommes? Cependant il est tombé dans ces abîmes de feu. Qui pourrait donc se consoler un jour de. se trouver avec lui dans les enfers, et d’y souffrir les mêmes tourments que lui?
Lorsque Dieu frappait l’Egypte de tant de plaies, le peuple se consolait-il de ce qu’il voyait les plus grands et le roi même frappés aussi de la main de Dieu, et de ce que chaque maison pleurait son mort? Nullement, et les Egyptiens le montrèrent bien par ce (345) qu’ils firent, puisque, se sentant comme frappés par une verge de feu, ils coururent en foule à Pharaon et le contraignirent de faire sortir le peuple hébreu.
C’est une pensée bien dépourvue de toute raison, de croire que ce soit une grande consolation d’être puni avec beaucoup d’autres, et de dire: Il ne m’arrivera que ce qui arrive à tout le monde. Un tel raisonnement est si loin d’adoucir les maux de l’enfer, qu’il ne rend pas même plus supportables ceux de cette vie. Considérez, je vous prie, ceux qui sont tourmentés de la goutte. Je vous demande si, lorsqu’ils souffrent les douleurs les plus aiguës, ils seraient fort disposés à se consoler, lorsque vous leur représenteriez qu’il y en a mille qui souffrent autant ou même plus qu’eux? Il leur est impossible de tirer de là le moindre soulagement. Leur esprit est tout occupé par la violence de leur mal. Il est comme absorbé dans cette pensée, et il ne lui en reste plus pour faire aucune réflexion sur les maux des autres.
Ainsi ne nous flattons point d’une espérance si fausse et si malheureuse. La vue de ce que souffrent les autres peut nous consoler dans les petits maux; mais quand la douleur est vive et perçante, l’âme en est tellement possédée, que, bien loin de penser aux autres, elle ne se connaît plus elle-même. Loin donc ces consolations imaginaires! Loin ces raisonnements frivoles, ou plutôt ces contes fabuleux, qui ne sont bons à dire qu’aux petits enfants. Ce moyen de consolation, qui consiste à se dire que tel et tel sont dans le même cas que soi, produit tout au plus quelque effet dans les médiocres chagrins; que, s’il ne diminue pas toujours même les petits chagrins, comment adoucirait-il l’effroyable tourment que l’Evangile exprime par le grincement de dents?