3.
N’admirez-vous point, mes frères, comment cette femme vint par elle-même à bout de son dessein, lorsque les apôtres mêmes n’avaient pu réussir à l’aider? tant une prière ardente et continuelle a de force pour fléchir Dieu ! Il aime mieux les prières que nous lui faisons pour nous-mêmes, quoique nous soyons coupables, que celles que les autres lui font pour nous. Les apôtres avaient plus d’accès auprès de Jésus-Christ que. cette femme; mais cette femme avait plus de constance et de persévérance que les apôtres. Et Jésus-Christ leur fit assez voir par l’événement la sagesse de sa conduite, lorsqu’il différait de l’exaucer, qu’il n’écoutait point ses prières, et qu’il rejetait même celles que ses apôtres lui adressaient en sa faveur.
«Jésus quittant ce lieu vint le long de la mer de Galilée et montant sur une montagne il, s’y assit (29). Et une grande multitude s’approcha de lui, ayant avec eux des boiteux, des aveugles, des muets, des estropiés, et beaucoup d’autres malades qu’ils mirent aux pieds de Jésus, et il les guérit (30). De sorte qu’ils étaient tous dans l’admiration, voyant que les muets parlaient, que les estropiés étaient guéris, que les boiteux marchaient, que les aveugles voyaient et ils rendaient gloire au Dieu d’Israël (31).» Jésus-Christ va quelquefois de lieu en lieu chercher les malades pour les guérir. D’autres fois il attend qu’ils viennent à lui, et il souffre que les boiteux montent avec peine au haut des montagnes pour y aller chercher leur guérison. Ces malades dont il est parlé ici ne demandent plus à toucher le bord de sa robe, comme on voit qu’ils le souhaitaient auparavant. Ils semblent déjà plus avancés, et, on voit que leur foi s’est augmentée. Ils se contentent de se prosterner à ses pieds; et ils donnent ainsi une double preuve de leur foi; la première en montant, quoique boiteux sur les plus hautes montagnes dans la ferme espérance qu’ils ont de leur guérison; et la seconde, en ce qu’ils croyaient qu’il suffit pour l’obtenir de se jeter aux pieds de leur Sauveur.
C’était un prodige bien surprenant de voir des personnes qu’on était auparavant obligé de porter, marcher tout d’un coup sans aucune peine, et des aveugles qui ne pouvaient faire un pas sans guide, voir clair en un moment et n’avoir plus ,besoin de personne pour les conduire. On était également surpris, et de la multitude de ces malades qui étaient miraculeusement guéris, et de la facilité avec laquelle Jésus-Christ les guérissait.
Mais remarquez ici, mes frères, la conduite du Fils de Dieu, Il n’exauce cette femme chananéenne qu’après beaucoup de rebuts, il guérit au contraire tous ces malades, au moment même qu’ils se présentent. Ce n’était point parce que ces derniers étaient préférables à cette femme, mais parce que tette femme avait plus de foi qu’eux tous. Jésus-Christ en différant de la guérir voulait faire voir sa générosité et sa constance, et il guérissait au contraire ces malades sans différer, pour fermer la bouche à l’ingratitude des Juifs, et pour leur ôter toute excuse. Car plus nous avons reçu de grâces, plus nous devenons coupables si nous sommes ingrats, et si les faveurs dont Dieu nous honore ne nous rendent pas meilleurs.
C’est pour cette raison que, les riches qui auront mal vécu , seront bien plus punis que les pauvres parce que l’abondance où ils se sont vus ne les a pas rendus plus reconnaissants envers Dieu, et plus charitables envers leurs frères. Et ne me dites, point qu’ils ont fait quelques aumônes. Si les aumônes qu’ils ont faites ne sont en rapport avec leurs richesses, elles ne les délivreront pas de la peine qu’ils méritent. Dieu ne jugera pas de nos charités par la mesure que nous y aurons gardée: mais par la plénitude du coeur, et par l’ardeur de la volonté avec laquelle nous les aurons faites. Que si ceux qui ne donnent pas autant qu’ils le peuvent seront condamnés de Dieu, combien le seront davantage, ceux qui amassent, des biens superflus, qui font des bâtiments immenses, et qui négligent en même temps les pauvres; qui appliquent tous leurs soins à augmenter leurs richesses, et qui n’ont jamais la moindre pensée de les partager à ceux qui souffrent de la faim?
Mais puisque nous sommes tombés sur le sujet, de l’aumône, je vous prie de trouver bon que nous reprenions aujourd’hui le discours que nous laissâmes imparfait, il y a trois jours. Vous vous souvenez que lorsque je vous parlais de la charité envers .les pauvres, notre sujet (407) nous voilà insensiblement à condamner les dépenses superflues qui la pouvaient diminuer, et que nous descendîmes dans les détails, jusqu’à parler du soin qu’on apporte à orner ses chaussures et de mille autres vains ornements pour lesquels la jeunesse d’aujourd’hui est si fort passionnée, Vous savez que je commençai à vous représenter alors que la charité était comme un art divin. Que l’école où l’on apprenait cet art était le ciel, et que le maître qui nous en instruisait, était-non un homme, mais Dieu même.
Nous nous étendîmes ensuite sur la question de savoir ce que c’était proprement qu’un art, ou ce qui ne méritait pas ce nom. Enfin nous fîmes une longue digression sur la vanité de la plupart des arts d’aujourd’hui, et nous nous appliquâmes particulièrement à montrer la superfluité que l’on recherche dans les chaussures. Reprenons donc encore aujourd’hui ce sujet, et faisons voir que la charité est l’art le plus excellent et le plus divin de tous. Car si le propre d’un art est d’avoir pour objet quelque chose qui soit utile; et s’il n’y a rien de plus utile que la charité que nous exerçons envers les pauvres, n’est-il pas clair que la charité est le plus excellent de tous les arts ?
Cet art céleste ne nous apprend pas à faire un soulier avec élégance, à faire des étoffes bien fines, ou à bâtir des maisons de boue, mais à hériter la vie éternelle; à nous délivrer de la mort, à nous rendre illustres dans cette vie et dans l’autre. Cet art divin nous apprend à nous bâtir une demeure dans le ciel, à nous préparer des tentes célestes et à nous construire des tabernacles éternels. Il ne nous laisse point éteindre nos lampes. Il ne souffre point que nous nous présentions aux noces célestes de l’époux avec un habit sale et en désordre, mais il lave nos vêtements et les rend plus blancs que la neige. « Quand vos péchés », dit Dieu, « auraient rendu vos habits plus rouges que l’écarlate, je les rendrai plus blancs que la neige.» (Isaïe, I,17.) C’est cet art qui nous empêche de tomber dans le malheur du mauvais riche, et d’entendre les paroles terribles qui lui furent dites, mais qui nous conduit dans le bienheureux sein d’Abraham.