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« Alors» : qu’est-ce à dire ? c’est-à-dire, après la descente du Saint-Esprit sur Jésus, après que cette voix divine se fut fait entendre du ciel : « C’est là mon fils bien-aimé dans lequel j’ai mis toute mon affection. »Qui n’admirera, mes frères, que l’Esprit de Dieu ait conduit Jésus-Christ dans le désert, afin d’y être tenté par le démon ? Car c’est le Saint-Esprit lui-même qui l’y a conduit. Comme Jésus-Christ était venu au monde pour nous servir de modèle, et avait résolu pour cela de tout faire et de tout souffrir, il veut bien se laisser aussi conduire dans le désert, et lutter contre le démon; afin que les nouveaux baptisés se voyant pressés de quelques grandes tentations après le baptême, n’entrent point dans le trouble et le découragement, comme s’il leur était arrivé quelque chose contre leur attente, mais qu’ils souffrent cette épreuve avec constance, comme une suite nécessaire de la profession qu’ils ont embrassée.
Vous avez reçu des armes, non pour demeurer dans un lâche repos, mais pour combattre. Si Dieu n’arrête point les tentations dont vous êtes attaqués, il le fait pour plusieurs raisons qui vous sont avantageuses. Car premièrement il veut que vous reconnaissiez par expérience que vous êtes devenu plus fort. Il veut encore que vous conserviez la modestie, et que la grandeur des grâces reçues ne vous enfle pas d’orgueil, vous qui êtes encore exposés à l’épreuve des tentations. Dieu permet aussi que vous soyez-tentés; afin que le démon qui doute toujours si c’est sincèrement que vous avez renoncé à lui, s’assure par votre patience que ce renoncement est véritable. De plus le dessein de Dieu est que votre âme se fortifie par la tentation, et qu’elle devienne aussi plus ferme que le fer. Enfin Dieu permet que l’ennemi vous attaque, afin que vous conceviez par là combien est grand et précieux le trésor qui vous a été confié. Car le démon ne vous attaquerait point avec tant de violence, s’il ne vous voyait élevés en un état plus glorieux que vous n’étiez auparavant. C’est ce qui l’irrita autrefois contre Adam, lorsqu’il le vit dans une si grande gloire. C’est encore ce qui l’irrita contre Job de voir que Dieu même lui donnait tant de louanges.
Mais d’où vient donc, me direz-vous, que Jésus-Christ nous a dit: « Priez afin que vous n’entriez point dans la tentation ? » (Matth. XXVI, 30.) Je vous réponds que cette parole s’accorde parfaitement avec ce que nous disons puisqu’il est marqué dans notre Evangile que Jésus-Christ n’alla pas de lui-même dans le désert, mais qu’il y fut conduit par l’Esprit. Ce qui nous montre admirablement que nous ne devons pas nous jeter de nous-mêmes dans les tentations, mais seulement les souffrir avec courage, lorsqu’ elles nous arrivent.
Et remarquez, je vous prie, où le Saint-Esprit mène le Sauveur. Ce n’est point dans une (97) ville, ni dans une place publique, mais dans le désert. Comme il voulait attirer le démon à ce combat, il ne lui en donne pas seulement l’occasion par la faim et par le jeûne; mais encore par la solitude. Car le démon attaque bien davantage les hommes lorsqu’il les voit seuls et séparés de tous les autres. Ce fut ainsi qu’il attaqua Eve autrefois, lorsqu’il la vit seule et séparée d’Adam. Quand il nous voit unis avec d’autres, il n’a pas la même hardiesse. Et c’est pour cette raison que nous devons nous trouver le plus souvent que nous pouvons dans la compagnie des gens de bien, afin de n’être pas si exposés aux attaques de notre ennemi.
Ainsi le diable va trouver Jésus-Christ dans le fond d’un désert inaccessible, ce que saint Marc fait assez voir lorsqu’il dit : « Qu’il était avec les bêtes. » (Marc, I, 13.) Et considérez avec quelle malice il l’attaque, et comme il sait prendre son temps. Il le tente non durant son jeûne, mais lorsqu’il est ensuite pressé de la faim ; afin que nous apprenions quel grand bien c’est que le jeûne; que c’est l’arme la plus forte que nous ayons pour combattre le démon, et qu’après le baptême un chrétienne doit plus s’adonner à la bonne chère, aux délices des festins, mais aux jeûnes et à l’abstinence. C’est pour cela que Jésus-Christ jeûne; non qu’il eût aucun besoin de jeûner, mais pour nous instruire de notre devoir. Comme les péchés que nous avions commis avant le baptême avaient pour cause l’intempérance dont nous étions les esclaves, Jésus-Christ nous commande de jeûner après le baptême. Et il fait en cela comme un sage médecin, qui, après avoir guéri un malade, lui ordonne de s’abstenir de ce qui lui avait causé son mal.
Considérez, je vous prie, combien l’intempérance a produit de maux. C’est elle qui a chassé Adam du Paradis; qui a répandu sur la terre les eaux du déluge, et qui a fait tomber sur Sodome les foudres du ciel si ce fut le péché de luxure qui, dans ces deux derniers exemples, attira directement la punition, l’intempérance néanmoins en fut la racine, selon qu’Ezéchiel le remarque par ces paroles:
« Le péché de Sodome a été l’orgueil, l’abondance de pain, et les délices de la table.» Ainsi les Juifs sont tombés souvent dans les plus grands crimes par l’amour du vin et de la bonne chère.