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En conséquence, si nous sommes vertueux, la charité ne périra point : car la charité engendre la vertu ; et la vertu, la charité. Comment cela , je vais le dire. L'homme vertueux ne fait point passer l'argent avant l'amitié; il n'est point enclin su ressentiment , il ne fait pas tort au prochain : il n'est point insolent, il est courageux dans l'adversité. Tout cela engendre la charité; et, d'autre part, celui qui aime prend toutes ces qualités. Ainsi ces deux choses se produisent mutuellement. Nous trouvons la preuve que la vertu donne naissance à la charité dans ce que dit l'Ecriture : « Quand l'iniquité se sera multipliée, la charité se refroidira ». Et en cet autre passage : « Celui qui aime le prochain a accompli la loi » (Rom. XIII, 8), nous avons la preuve que la vertu vient de la charité. De sorte qu'il suffit d'être une de ces deux choses : ou très-aimant et aimé, ou très-vertueux. En effet, celui en qui se trouve une de ces choses possède l'autre nécessairement : et, au contraire, celui qui ne sait pas aimer ne fera que le mal : celui qui fait le mal, est incapable d'aimer. Recherchons donc la charité : c'est un rempart qui nous préserve de tout mal; (489) unissons-nous, qu'il n'y ait nulle ruse, nulle dissimulation entre nous. On ne trouve rien de pareil, là où règne l'amitié. Un autre sage l'a dit: « Quand vous aurez tiré l'épée contre un ami, ne désespérez pas ; car il y a encore du retour. Quand vous aurez ouvert la bouche contre votre ami, ne vous découragez pas : car il y a encore une réconciliation possible, pourvu qu'il n'y ait ni injures, ni révélation de secret, ni coup porté en trahison ». (Ecclésiaste, XXII, 26, 27.) Voilà ce qui met en fuite l'amitié : la révélation d'un secret, dit le texte. Mais si nous sommes tous amis, il n'y a pas même besoin de secrets; si l'on n'a pas de secrets avec soi-même , s'il est impossible de se rien cacher, il doit en être ainsi avec les amis. Or, s'il n'y a pas de secrets, voilà un motif de rupture supprimé. Si nous avons des secrets, c'est faute de nous fier à tout le monde : c'est donc le refroidissement de la charité qui a fait les secrets. Pourquoi un secret? Veux-tu faire tort au prochain, ou l'empêcher de faire quelque profit, et te caches-tu de lui pour cette raison ? Mais il n'y a rien de pareil : et tu rougis? C'est donc un signe que tu manques de confiance.
S'il y a charité, il n'y aura donc pas de révélation de secret : il n'y aura pas davantage d'injures. Dites-moi, en effet, qui pourrait injurier son âme? On ne pourrait agir ainsi que pour lui être utile : c'est ainsi que nous faisons des reproches aux enfants, afin de les humilier. Et si le Christ autrefois éleva la voix contre certaines villes, en disant : « Malheur à toi, Chorazin, malheur à toi, Bethasaïda! » (Luc, X, 13), c'était afin de les tirer de l'opprobre. En effet, rien n'est plus capable de toucher un coeur, de le réveiller, de le ranimer. Abstenons-nous donc de reproches inutiles. Quoi donc ! irez-vous vous plaindre pour une somme d'argent? Nullement, si vous n'avez, à vous tous, qu'une fortune. On encore pour des fautes? pas même pour ce motif vous,corrigerez plutôt... Le texte ajoute : « Ni coup porté en trahison ». Quoi donc ! on se tuera soi-même? Qui frappera? Personne. Recherchons donc la charité. L'Ecriture ne dit pas simplement : Pratiquons, mais : Recherchons. Il faut beaucoup de zèle : la charité avait disparu, elle est prompte à la retraite. Il y a tant de choses en ce monde qui lui font la guerre. Si nous courons à sa poursuite, elle ne pourra nous échapper, nous l'attraperons sur-le-champ. La charité de Dieu a uni le ciel et la terre; la charité de Dieu a fait asseoir l'homme sur le trône royal; la charité de Dieu a montré Dieu sur la terre; la charité de Dieu a converti le maître en serviteur; la charité de Dieu a fait que le Bien-Aimé a été livré pour les ennemis, le Fils pour les rebelles, le Maître pour les serviteurs, Dieu pour les hommes, celui qui est libre pour les esclaves: et elle ne s'est pas arrêtée là; elle nous a encore conviés plus haut. Non-seulement elle nous a délivrés de nos maux, niais elle nous a fait des promesses encore bien plus magnifiques. Remercions Dieu de tous ces bienfaits, et mettons-nous à la poursuite de toutes les vertus: avant tout soyons exactement fidèles au précepte de la charité, afin d'être jugés dignes des biens qui nous sont promis, par la grâce et la bonté de Notre -Sei rieur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.