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Ici Paul me semble encore faire allusion à une autre circonstance. Probablement, dans l'assemblée à laquelle il s'adresse, il n'y avait pas beaucoup de gens qui fussent pourvus des grâces divines ; ces dons étaient devenus plus rares, parce que les hommes étaient devenus plus négligents. Voilà pourquoi, afin de les consoler et pour ras pas les laisser tomber dans le découragement, il a attribué toutes ces grâces à la volonté divine. Il sait, dit-il, quel est l'avantage de chacun, et c'est là-dessus qu'il se fonde pour distribuer ses grâces: C'est ce qu'il dit encore dans l'épître aux Corinthiens. « Le Seigneur a donné à chacun la place qu'il a voulu ». Et ailleurs : « Les dons du Saint-Esprit qui se manifestent au «dehors ont été donnés à chacun pour l'utilité de l'Eglise ». (I Cor. XII, 18, 7.) Il montre par là que les grâces sont réparties, suivant la volonté du Père. Souvent, à cause de leur vie impure et de leur paresse, bien des gens n'ont eu aucune part aux grâces du Seigneur. Ils ont été quelquefois assez mal partagés, malgré leur existence honorable et pure, Pourquoi cela ? c'est pour qu'ils ne lèvent point une tête orgueilleuse , c'est pour qu'ils ne s'enflent point,-pour qu'ils ne tombent point dans la négligence ou dans la présomption. Car si, même sans la grâce, la conscience que l'on a de la pureté de sa vie, suffit pour donner de l'orgueil, il en est ainsi à plus, forte raison, quand le don des grâces vient s'y joindre. C'est pourquoi ce don est le privilège des humbles et des simples, et surtout dés simples. « Avec joie», dit-il, « et simplicité de coeur ». (Act. II, 46.) Voilà surtout comme il s'y prend pour les exhorter et pour stimuler leur lenteur. Celui qui est humble en effet, celui qui n'a pas de lui-même une haute idée, redouble de zèle; quand il reçoit le don dés grâces; il croit avoir reçu plus qu'il ne méritait; il se regarde comme indigne 'd'un pareil don. Mais l'homme qui a conscience de son mérite, accepte ce don comme s'il lui était dû; et s'enorgueillit. Dieu a donc consulté l'intérêt de l'Eglise pour dispenser ces grâces. Aussi, voyons-nous, dans l'Eglise, le don de l'enseignement accordé à celui-ci, tandis que celui-là ne peut pas même ouvrir la bouche. Il ne faut pas se chagriner pour cela. «Car les dons de l’Esprit, qui se manifestent au dehors, ont été donnés à chacun, pour l'avantage de l'Eglise». Si un maître de maison sait à quoi il peut employer chacun de ses serviteurs, à plus forte raison il doit en être ainsi dé Dieu qui connaît l'esprit des hommes, et qui sait tout avant qu'ils ne soient nés. Une seule chose doit nous affliger, c'est le péché.
Ne dites pas . Pourquoi n'ai-je pas de fortune ? si j'en avais, j'en ferais part aux pauvres. Peutêtre, si vous en aviez, seriez-vous plus ambitieux. Vous parlez ainsi maintenant, mais, si vous étiez mis à l'épreuve, vous seriez un autre homme. Sommes-nous rassasiés, il nous semble que nous (466) sommes à l'épreuve du jeûne, et -bientôt après nous raisonnons autrement. Quand nous ne sommes pas enclins à l'ivrognerie, nous croyons pouvoir surmonter la passion du vin; cette passion s'empare-t-elle de nous, nos idées changent. Ne, dites pas : Pourquoi n'ai-je pas reçu le don d'enseigner ? Si je l'avais, j'aurais édifié bien du monde. Si vous l'aviez eu, on vous en aurait peut-être fait un crime; l'envie et la paresse vous auraient peut-être forcé à enfouir votre talent. Vous êtes maintenant à l'abri de leurs attaques, et si vous ne donnez pas votre mesure de froment, on ne vous fera pas de reproche. Si vous n'étiez pas dans la situation où vous êtes, vous auriez mille comptes à rendre. D'ailleurs, vous n'êtes pas absolument dépourvu des grâces, du Seigneur. Montrez, dans votre humble situation, ce que vous sériez dans une position plus élevée. Si, « quand vous avez un petit dépôt à conserver », est-il dit, « vous ne vous montrez pas fidèle, que sera-ce quand vous serez dépositaire « d'un trésor? » (Luc, XVI, 11.) Faites comme la veuve. Elle .n'avait que deux oboles et elle a donné tout ce qu'elle possédait. Sont-ce les richesses que vous recherchez ? Montrez que de faibles sommes n'excitent pas votre convoitise, pour que je vous en confie de plus grandes. Si vous n'êtes pas au-dessus de quelques deniers, vous serez encore bien plus faible devant une masse d'or. Dans vos discours, montrez que vous savez adresser à propos une exhortation ou un conseil. Manquez-vous d'éloquence ? manquez-vous d'abondance ?vous pouvez faire cependant ce que fait le commun des hommes. Vous avez un enfant, un voisin, un ami, an frère, des proches; si vous ne pouvez parler en public et développer un sujet devant une grande assemblée, vous avez des auditeurs auxquels vous pouvez donner un bon conseil en_ particulier. Il n'y a besoin pour cela ni d'éloquence ni de longs développements. Montrez devant un auditoire restreint que, si vous aviez reçu le don de la parole, vous sauriez le cultiver. Si, quand votre couvre est peu de chose, vous ne déployez aucun zèle, comment vous confierais-je une couvre importante ? Ce que je vous dis là, chacun est en état de le faire. Ecoutez plutôt saint Paul s'adressant aux laïques : « Edifiez-vous », dit-il, « les uns les autres, comme vous le faites »; et ailleurs : « Consolez-vous les uns les autres, dans vos entretiens ». (I Thess. V, 11 et IV, 17.) Valez-vous mieux que Moïse ? Ecoutez-le et voyez comme il se décourage : « Est-ce que je puis les porter », dit-il, « pour que vous me disiez : Porte-les, comme une nourrice porte son nourrisson ? » (Nombr. XI, 12.) Que fait Dieu alors ? Il lui retire son esprit pour le donner aux autres, montrant par là que lorsqu'il leur servait de soutien, ce n'était point par lui-même, mais parla grâce du Saint-Esprit. Si vous aviez les dons de la grâce, souvent vous vous élèveriez, souvent vous seriez abattu; vous ne vous connaissez pas vous-même, comme Dieu vous tonnait. Ne disons pas : A quoi bon ceci ? Pourquoi cela ? Quand c'est Dieu qui ordonne toutes choses, n'allons pas lui demander des comptes; car 'ce serait le comble de l'impiété et de la folie. Nous sommes des esclaves, et il y a entre notre maître et nous, esclaves que nous, sommes, un intervalle immense; nous ne voyons même pas à nos pieds. N'allons donc pas scruter les desseins de Dieu; conservons précieusement ses moindres dons, ses dons les plus infirmes et nous serons considérés. Mais que dis-je?Parmi les dons du Seigneur il n'y en a pas un qui n'ait son prix. Vous vous plaignez de n'avoir pas le don d'enseigner. Dites-moi, je vous prie, lequel préférez-vous du don d'enseignement ou du don de guérison ? Le don de guérison assurément. Et le don de guérir les maladies, n'est-il pas, selon vous, inférieur au pouvoir de rendre la vue aux aveugles, inférieur au don de résurrection ? Et maintenant dites-moi. Ressusciter un mort avec sa parole, n'est-ce pas moins encore que de le ressusciter avec son ombre par le simple contact d'un morceau de linge? Qu'aimez-vous mieux, dites-moi : ressusciter les morts avec votre ombre, par le « simple contact » d'un morceau de linge, ou avoir le don d'enseigner? Assurément, répondrez-vous, je préfère avoir le don de ressusciter les morts.