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Si donc je parviens à vous démontrer que ce dernier don est bien inférieur à l'autre, et qu'en négligeant d'acquérir ce don le plus grand de tous, vous méritez d'être privé de tous les autres, que direz-vous ? Et le don auquel je fais allusion, ce n'est pas à un ou deux hommes, c'est à toit, le monde qu'il est permis de l'acquérir. Vous voilà tous ébahis, je le vois, vous voilà frappés de stupeur ! Quoi ! vous pourriez acquérir un don encore plus grand que le pouvoir de rendre la vie aux morts et la vue aux aveugles ! Vous pourriez faire ce qui s'est fait au temps des apôtres ! Voilà qui vous parait peut-être incroyable ! quel est ce don enfin ? C'est la charité. Mais croyez-moi bien. Car ce n'est pas moi qui parle; c'est le Christ par la bouche de saint Paul. Que dit-il ? « Entre tous les dons, empressez-vous de choisir les meilleurs, et je vais vous montrer une voie qui est encore au-dessus de tout ». (I Cor. XII, 31.) Qu'est-ce à dire : « Encore au-dessus de tout? » Voici le sens de ces paroles. Les Corinthiens, à cette époque, se faisaient gloire de posséder les dons de la grâce, et ceux qui avaient le don des langues qui est le dernier de tous, étaient gonflés d'orgueil, et se mettaient au-dessus de tout le monde. Paul dit donc : Vous voulez absolument posséder, les dons de la grâce. Eh bien ! je vais vous montrer une voie pour y parvenir, et cette voie n'est pas seulement supérieure aux autres; elle est au-dessus de tout. Puis il ajoute : « Quand je parlerais le langage des anges, si je n'ai point, la charité, je ne suis rien. Et quand j'aurais cette foi vive qui transporte les montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien ». (I Cor. XIII, 1, 2.) Voilà ce qui s'appelle un don précieux ! Soyez donc jaloux de l'acquérir. Cela vaut mieux que de ressusciter les morts ! Ce don est de beaucoup au-dessus de tous les dons. Ecoulez plutôt ce que dit le Christ à ses disciples, en s'entretenant avec eux : « A quoi tout le monde reconnaîtra-t-il que (467) vous êtes mes disciples ? à votre charité les uns pour les autres ». (Jean, XIII, 35.) Ce signe particulier qui les fait reconnaître, il le montre ici. Ce ne sont pas les miracles, et qu'est-ce donc ? C'est la charité qu'ils ont les uns pour les autres. Et ailleurs il dit à son Père : « On reconnaîtra que vous m'avez envoyé à ce signe : ils ne seront qu'un ». (Jean, XVII, 21.) Et lui-même dit à ses disciples:«Voici un nouveau précepte que je vous donne, aimez-vous les uns les autres ». (Jean, XIII, 34.)
Il y a donc plus de mérite et de gloire à cela qu'à ressusciter les morts, et c'est justice. Car tous ces dons que nous avons mentionnés, sont des présents de la grâce divine; celui-ci est le fruit du zèle; d'est l'apanage du vrai chrétien ; c'est le sceau du disciple de Jésus-Christ, de ce disciple que l'on crucifie et qui n'a rien de commun lavée la terre. Sans la charité, le martyre même est inutile. Voulez-vous le savoir ? Remarquez bien ceci. Saint Paul divise les vertus en trois classes principales : celle des signes miraculeux, celle de la science, celle qui consiste dans une vie droite. Eh, bien ! ces vertus, selon lui, ne sont rien, sans la charité. Comment cela ? je vais vous le dire : «Quand j'aurais distribué tout mon bien pour nourrir les pauvres, si je n'ai point la charité, cela ne me sert de rien ». (I Cor. XIII, 3.) Il est possible en effet, que celui qui distribue ainsi son bien, ne soit point charitable et ne soit qu'un prodigue. C'est ce qui a été suffisamment développé dans le passage où nous avons parlé de la charité, et nous y renvoyons le lecteur ! Soyons donc jaloux, je le répète, d'acquérir la charité, aimons-nous les uns les autres, et cette voie, à elle seule, nous fera parvenir à la vertu. Tout nous sera facile. Plus de sueurs; tout nous réussira et nous ferons tout avec zèle. Oui, répète-t-il, aimons-nous les uns les autres. Cet homme a deux ou trois amis; cet autre en a quatre. Mais ce n'est pas là ce qui s'appelle aimer pour Dieu; c'est aimer pour être aimé. L'amour qui a Dieu pour cause, ne dérive pas d'un semblable principe. L'homme qui aime pour Dieu regardera tous les hommes comme ses frères. Ceux qui partagent sa croyance, il les aimera comme des frères germains; quant aux hérétiques, aux grecs et aux juifs qui sont ses frères selon la nature, mais qui sont des membres corrompus et inutiles, il en aura pitié, et se consumera dans les larmes, en déplorant leur sort.
Le moyen de ressembler à Dieu, c'est d'aimer tout le monde et même ses ennemis; ce n'est pas de faire des miracles. Car Dieu lui-même, si nous, l'admirons quand il fait des miracles, nous l'admirons bien davantage encore, quand il manifesté sa bonté et sa patienté. Si donc ces vertus sont tellement admirables dans la nature divine, à plus forte raison sont-elles admirables chez l'homme. Montrons-nous donc jaloux d'acquérir la charité, et nous égalerons saint Pierre, saint Paul, et ces hommes qui ont opéré des milliers de résurrections. Oui : nous les égalerons, quand même nous n'aurions pas le pouvoir de guérir une simple fièvre. Mais, sans la charité, quand même nous ferions plus de miracles que les apôtres, quand nous affronterions mille dangers, pour faire triompher la foi, tout, cela sera en pure perte., Et ici ce n'est pas moi qui parle; cette doctrine est celle du nourrisson de la charité, et c'est à lui que nous devons obéir. C'est ainsi que nous obtiendrons les biens qui nous sont promis. Ces biens, puissions-nous tous les acquérir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. A lui, au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.