VI - LA VIERGE RICHE
[1] Je ne laisserai pas non plus de côté dans ce récit ceux qui ont vécu avec mépris : c'est pour la louange de ceux qui sont restés dans le droit chemin et la mise en garde de ceux qui liront. Il y avait à Alexandrie une vierge humble d'extérieur, mais hautaine dans ses préférences, étonnamment riche en biens, mais n'ayant donné une obole ni à un étranger, ni à une vierge, ni à une église, ni à un pauvre. Malgré les nombreuses représentations des pères, elle ne se détachait pas des choses matérielles. [2] Or il lui restait de la parenté : elle en adopte une fille de sa propre sœur, à qui de nuit et de jour elle promettait ce qu'elle possédait, étant déchue de l'envie du ciel. Car c'est aussi une forme de la tromperie du diable : il nous amène à souffrir des transes pour la cupidité, sous prétexte d'aimer nos parents. En effet, que lui-même ne se soucie pas d'une famille, puisqu'il nous apprend à tuer un frère, une mère et un père, c'est chose avouée. [3] Mais quand même il semble inspirer de la sollicitude pour nos proches, il ne le fait point par dévouement pour eux, maison vue d'exercer l'âme à devenir injuste, sachant bien la sentence : « Les injustes n'hériteront pas du royaume de Dieu » (I Cor. 6, 9). Cependant on peut, mû par un sentiment de prudence qui se rapporte à Dieu, sans négliger son âme, donner assistance à ses proches, si du moins ils sont dans le besoin. Mais quand on subordonne son âme tout entière au souci de ses proches, on tombe sous la loi, en estimant son âme pour quelque chose de vain. [4] Or le saint psalmiste chante ceci à propos de ceux qui s'occupent de leur âme avec crainte : « Qui montera à la montagne du Seigneur? » ; c'est pour dire : rarement. « Ou bien qui se tiendra dans son saint lieu à lui? Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur, qui n'a pas reçu en vain son âme » (Ps. 23, 3, 4). Car tous ceux-là reçoivent leur âme en vain, qui ont de la négligence pour les vertus, en croyant qu'elle se dissout avec la misérable chair.
[5] Quant à cette vierge, le très saint Macaire. prêtre et administrateur de l'hospice des pauvres estropiés, ayant voulu, d'après certes ce qu'on dit, par une espèce de saignée l'alléger de son avarice, imagine l'expédient que voici; dans sa jeunesse, en effet, il était ouvrier en pierreries, ce qu'on appelle lapidaire. Et étant sorti, il lui dit : « Des pierres sont tombées fatalement entre mes mains : ce sont des émeraudes et des hyacinthes, et je n'ai pas à dire si elles ont été trouvées ou volées. Elles ne sont pas livrées à leur valeur, étant au-delà d’ une estimation. Celui qui les a les met en vente pour cinq cents pièces de monnaie. [6] S'il te plaît de les prendre, avec une seule pierre tu peux conserver tes cinq cents pièces de monnaie et utiliser les autres pour parer ta nièce. » La vierge tout en suspens est séduite et tombe à ses pieds, en disant : « A tes pieds, qu'un autre ne les prenne pas. » Il l'invite alors en ces termes : « Transporte-toi jusqu'à ma maison et regarde-les. » Or elle n'en eut pas la patience, mais elle lui jette les cinq cents pièces de monnaie en disant : « Comme tu le veux, obtiens-les; car pour moi. je ne veux pas voir l'homme qui les vend. » [7] Or Macaire, ayant reçu les cinq cents pièces de monnaie, les donne pour les besoins de l'hospice des pauvres. Puis le temps ayant galopé, comme l'homme d'Alexandrie, rempli d'amour de Dieu et compatissant, paraissait avoir un grand crédit, — il fut en effet dans sa force jusqu'à cent ans, et nous-même avons passé quelque temps avec lui, — elle avait scrupule de le faire ressouvenir. Enfin l'ayant trouvé dans l'église, elle lui dit : « Je t'en prie, que décides-tu à propos de ces pierres pour lesquelles nous avons donné cinq cents pièces de monnaie? » [8] Mais il répondit en disant :
« Dès le moment à partir duquel tu m'as donné ton or, je l'ai dépensé pour le prix des pierres. Et si lu veux venir et les voir dans l'hospice, car c'est là qu'elles sont, viens et vois, si elles t'ont plu: car autrement reprends ton or. » Et elle y alla bien volontiers. Or c'était l'hôpital des pauvres contenant des femmes pour l'étage supérieur et des hommes pour l'étage inférieur. Et l'ayant conduite, il l'introduit au portail et lui dit : « Que veux-tu voir d'abord, les hyacinthes ou les émeraudes? » Elle lui dit : « Ce qui te semble bon. » [9] Il la fait monter à l'étage supérieur et lui montre des femmes mutilées, ayant des visages ravagés. Et il lui dit : « Voici les hyacinthes. » Et il la fait descendre ensuite en bas et lui dit, lui ayant montré les hommes : « Voici les émeraudes, s'il arrive qu'elles te plaisent; car autrement, reprends ton or. » Alors bouleversée elle sortit, et s'en étant allée, elle tomba malade du chagrin considérable de ce qu'elle n'avait pas fait cette chose-là selon Dieu. Plus tard elle remercia le prêtre, quand la jeune fille dont elle s'occupait mourut après un mariage sans enfants.