LXXI - LE FRÈRE QUI EST AVEC LOI
[1] Or donc, quand j'aurai dit quelques mots du frère qui est avec moi depuis la jeunesse jusqu'aujourd'hui, je mettrai fin à ce récit. Je sais que pendant longtemps il n'a pas mangé par passion, ni jeûné par passion : il avait vaincu, à ce que je crois, la passion des richesses, la plus grande partie de la vaine gloire; il se contentait des choses présentes ; il ne se parait pas avec des vêtements ; méprisé, il rendait grâce ; il se risquait pour des amis sincères ; il avait reçu une épreuve de démons mille fois et davantage ; de sorte qu'un jour un démon composa avec lui et dit : « Conviens avec moi de pécher, quand même ce serait une seule fois, et celle que tu pourras m'indiquer dans le monde, je te l'amène. » [2] Et encore une autre fois ayant usé du poing contre lui pendant quatorze nuits, ainsi qu'il me le racontait, et l'ayant tiré par un pied dans la nuit, il lui adressait la parole en disant : « N’adore pas le Christ, et il n'y a pas à craindre que je t'approche. » Mais lui de répondre et de dire : « C'est pour cela que je l'adore, et je le glorifierai et l'adorerai infiniment, puisque en cela tu as tout à l'ait du désagrément. » Ayant foulé le sol de cent six villes, séjourné même dans la plupart, il n'eut pas, grâce à la miséricorde de Dieu, une expérience de femme, même en rêve, excepté durant cette lutte-là. [3] Je sais qu'il reçut pour la troisième fois d'un ange son nécessaire de nourriture. Un jour dans l'extrême désert, n'ayant pas même une miette, il trouva trois pains chauds dans sa mélote ; une autre fois encore du vin et des pains. Une autre fois encore j'ai su qu'on disait ceci : « Tu es dans le besoin; eh bien, va-t'en et reçois de celui-là du blé et de l'huile. » Or lui, étant allé à celui vers lequel il l'avait envoyé, lui dit : « Es-tu un tel ? » Et il dit : « Oui. Quelqu'un t'a ordonné de ' recevoir trente boisseaux de blé et douze seliers d'huile. » [4] « Je me glorifierai à propos de lui » (II Cor. 12, 5), tel qu'il fut. J'ai su qu'il versa des larmes souvent sur des hommes en nécessité, qui souffraient détresse de pauvreté, et, tout ce qu'il avait, il le leur offrit, excepté sa chair. Et j'ai su qu'il pleura aussi sur un déchu dans le péché, et lui, par ses larmes, il amena au repentir celui qui était déchu. Il m'a juré un jour ceci: « J'ai prié Dieu de ne stimuler personne, surtout des riches et des méchants, pour me donner quelque chose dans les besoins. »