6.
L'ABBÉ THÉODORE. L'Écriture se sert quelquefois du mot mal pour exprimer les afflictions qui ne sont pas réellement des maux, mais qui paraissent tels à ceux qui les reçoivent pour leur bien. Quand l'Écriture s'adresse aux hommes, il est nécessaire qu'elle se serve d'expression conforme à leur langage et à leur pensée. Le fer et le feu que le médecin emploie pour guérir des ulcères, paraissent des maux à ceux qui souffrent. Le coupable n'aime pas plus la correction que le cheval n'aime l'éperon.
Toutes les peines qu'on inflige aux enfants leur semblent amères. Ainsi que le dit l'Apôtre : « Toutes réprimandes ne causent pas d'abord de la joie, mais du chagrin. Ceux qui les reçoivent en goûteront les fruits un jour, et leur rendront justice » (Hébr., XIX, 11); et il ajoute : « Le Seigneur reprend celui qu'il aime; il frappe celui qu'il adopte pour enfant. Quel est l'enfant qui n'est pas repris par son père? » (Ibid.—Prov., III, 12.) L'Écriture appelle donc quelquefois les afflictions des maux. Elle dit par exemple : « Et Dieu se repentit du mal qu'il avait promis de leur faire, et il ne le fit pas. » (Jér., XXVI, 13.) Et ailleurs : « Seigneur, vous êtes miséricordieux et bon, vous êtes patient, vous êtes rempli de compassion, et vous vous repentez du mal » (Joël, II, 13); c'est-à-dire des afflictions et des peines que vous êtes obligé de nous envoyer à cause de nos péchés. Un autre prophète, sachant combien les maux peuvent être utiles aux hommes, fait à Dieu cette prière, non par envie, mais par désir de leur salut : « Envoyez-leur des maux, Seigneur; envoyez des maux aux superbes de la terre. » Et le Seigneur répond : « Voici que je leur envoie des maux (Jér., XI, 11); c'est-à-dire des douleurs et des ruines, afin que ces châtiments salutaires les fassent revenir à moi, qu'ils ont méprisé dans la prospérité. » Ainsi nous ne pouvons appeler de véritables maux, ces afflictions qui sont des biens pour tant de personnes, et leur procurent des joies éternelles.
Pour revenir à la question proposée, nous ne devons pas regarder le mal que nous font souffrir nos ennemis ou d'autres personnes comme des maux, mais comme des choses indifférentes. Ce qui les rend bonnes ou mauvaises, ce n'est pas la fureur de celui qui les cause, c'est l'esprit de celui qui les supporte. Ainsi, lorsqu'on donne la mort à un homme juste, il ne faut pas croire que c'est un mal, mais une chose indifférente. Ce qui est alors un mal pour le pécheur, est pour le juste la paix et la fin de tous ses maux. « La mort, dit Job, est le repos du juste dont la vie a été cachée. » (Job, III, 23.) L'homme juste n'éprouve en mourant rien d'extraordinaire. Ce qui lui serait arrivé selon la nature, la malice de ses ennemis le hâte seulement en avançant ainsi sa récompense. Il acquitte la dette de la mort, qu'il faut payer nécessairement, et il recueille alors le fruit de ses souffrances et la couronne magnifique qu'il a méritée.