21.
Cette guerre n'est pas, pour les démons, sans peine et sans souffrance; ils ont à supporter, dans ces luttes, bien des tristesses et des angoisses, surtout quand ils rencontrent de vaillants adversaires, c'est-à-dire des hommes saints et parfaits. S'ils ne trouvaient pas de résistance, leurs tentations ne seraient plus une lutte, un combat. Pourquoi l'Apôtre dirait-il alors : « Nous n'avons pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre les principautés, les puissances; contre les princes de ce monde, et les esprits de malice qui sont dans l'air » (Éph., VI, 12); et ailleurs : « Je ne combats pas comme quelqu'un qui frappe l'air. » (I Cor., IX, 26.) «J'ai combattu un bon combat. » (II Tim., IV, 7.)
Quand il y a lutte, guerre et combat, il y a nécessairement effort, travail, inquiétude; et après, douleur et confusion pour les vaincus, et joie pour les vainqueurs. Si l'un combat à la sueur de son front, et que l'autre triomphe sans danger et sans peine, et n'a besoin que de sa volonté pour renverser son adversaire, il n'y a plus, à vrai dire, de lutte, de combat, mais une injuste et violente oppression. Aussi, lorsque les démons attaquent les hommes, ils se donnent beaucoup de mal pour remporter cette victoire qu'ils désirent, et quand ils échouent, ils éprouvent la même confusion que nous eût causée notre défaite. Car il est dit : « Le mal qu'ils avaient rêvé , et que leurs lèvres voulaient faire , les couvrira de honte. » (Ps. CXXXIX , 10.) La douleur retombera sur leur tête » (Ps, VII,17); et encore : « Que le filet qu'il ignore le surprenne, que le piége qu'il avait tendu le trompe, et qu'il tombe dans la fosse qu'il avait creusée » (Ps. XXXIV, 8) ; c'est-à-dire dans la honte qu'il avait préparée aux hommes. Les démons souffrent aussi dans cette guerre; ils nous terrassent; mais ils sont quelquefois terrassés; leur défaite les couvre de confusion.
David, qui connaissait si bien les combats de l'homme intérieur, les voyant se réjouir de nos ruines, suppliait Dieu de ne pas leur causer de semblables joies: « Éclairez mes yeux, disait-il, afin que je ne m'endorme jamais dans la mort, et que mon ennemi ne dise pas : J'ai prévalu contre lui. Ceux qui me poursuivent se réjouiront, si je suis ébranlé. » (Ps. XII, 4.) « Mon Dieu, que je ne cause pas leur joie, et qu'ils ne disent pas dans leur coeur: Courage, courage ! nous l'avons dévoré. » (Ps. XXXIV, 25.) « Ils ont grincé les dents contre moi, Seigneur; quand voudrez-vous me regarder? L'ennemi me guette, comme le lion dans sa tanière; il tend des piéges pour surprendre le pauvre, et il le demande à Dieu pour sa nourriture. » (Ps. CIII, 21.) Mais lorsque tous leurs efforts pour nous tromper ont été inutiles, ceux qui poursuivaient nos âmes pour les perdre sont couverts de honte et de confusion. « Qu'ils soient couverts de honte et de confusion, ceux qui nous voulaient du mal. » (Ps. XXXIV, 26.) Jérémie dit aussi: « Qu'ils soient confondus, et que je ne sois pas confondu moi-même. Qu'ils tombent, et que je ne tremble pas. Répandez sur eux les éclats de votre fureur, et accablez-les d'une double honte. » (Jér., XVII, 18.)
Il est évident que toutes les fois que nous triomphons, ils sont doublement confondus; ils voient d'abord les hommes acquérir cette sainteté qu'ils ont perdue eux-mêmes, et qu'ils leur avaient fait perdre par le péché originel, et ils se reconnaissent ensuite vaincus par des êtres inférieurs à leur nature spirituelle. Aussi les saints célèbrent avec joie la ruine de leurs ennemis, et leurs victoires; ils disent avec David : Je poursuivrai mes ennemis, et je les atteindrai, et je ne cesserai pas qu'ils ne soient vaincus. Je les briserai, et ils ne pourront se relever. Je les foulerai aux pieds. » (Ps. XVII, 38.) Le Prophète prie contre eux, lorsqu'il dit : « Seigneur, jugez ceux qui me nuisent, et combattez ceux qui me combattent. Prenez vos armes et votre bouclier, et levez-vous pour me secourir. Tirez votre épée, et finissez-en avec ceux qui me persécutent. Dites à mon âme : Je serai ton salut. » (Ps. XXXIV, 1.)
Quand nous les aurons vaincus, après avoir soumis et éteint toutes nos passions, nous mériterons entendre cette bénédiction : « Votre main dominera vos ennemis, et ils périront tous. » (Mich., V, 9.) Tous ces passages que nous lisons ou que nous chantons dans la sainte Écriture, ont rapport aux démons qui nous assiégent nuit et jour, et nous devons y puiser un esprit de douceur et de patience, au lieu d'y trouver des sentiments d'aigreur, opposés à la perfection de l'Évangile. Sans cela, non-seulement nous n'y apprendrions pas à prier pour nos ennemis, et à les aimer; mais nous serions excités à les détester et à les maudire, jusque dans nos prières. Ce serait un crime et un sacrilège de croire que les saints et les amis de Dieu ont parlé dans ce sens. La loi , avant l'avènement du Christ, n'était pas faite pour eux; car ils allaient au delà de ses commandements , et obéissaient aux préceptes de l'Évangile. Ils devançaient le temps, et voulaient pratiquer la perfection des Apôtres.