34.
L'ABBÉ ISAAC. L'Évangile et les prophètes nous apprennent les différentes causes qui font exaucer nos prières , selon les différentes dispositions de l'âme. Vous avez un moyen d'être exaucés, en vous réunissant pour prier, selon cette parole du Sauveur : « Si deux d'entre vous s'unissent sur la terre , tout ce qu'ils demanderont , mon Père qui est au ciel le leur accordera. » (S. Matth., XVIII, 19.) Vous avez un autre moyen, dans la plénitude de la foi, qui est comparée au grain de sénevé : « Si vous avez, est-il dit, de la foi comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne : Allez là, et elle ira, et rien ne vous sera impossible. » (S. Matth., XVII, 19.) Vous en avez un autre dans la persévérance de votre prière, qui doit aller, selon Notre-Seigneur, jusqu'à l'importunité : « En vérité, en vérité , je vous le dis , si ce n'est pas par affection, ce sera à cause de son importunité, qu'il se lèvera et lui donnera ce dont il aura besoin. » (S. Luc, XI, 8.) Vous avez le moyen de l'aumône: « Renfermez votre aumône dans le cœur du pauvre, et elle priera pour vous au jour de la tribulation. » (Eccli., XXIX, 15.) Le changement de vie et les oeuvres de miséricorde vous feront aussi exaucer : «Brisez les chaînes de l'impiété; ôtez les fardeaux qui accablent » (Isaïe, LVIII , 6) ; et le Prophète ajoute , après avoir parlé de la stérilité d'un jeûne inutile : « Alors vous invoquerez le Seigneur, et le Seigneur vous exaucera; vous crierez, et il dira : Me voici.» (Ibid., 9.) Quelquefois l'excès de la tribulation vous fera exaucer : « J'ai crié vers le Seigneur, lorsque j'étais dans l'affliction , et il m'a exaucé » (Ps. CXIX,1) ; et encore : a N'affligez pas l'étranger, car s'il crie vers moi, je l'exaucerai parce que je suis plein de miséricorde. » (Exod., XXII, 27.)
Vous voyez qu'il y a beaucoup de manières de mériter la grâce d'être exaucé, et personne ne doit désespérer d'obtenir les biens véritables et éternels. Car si la vue de nos misères nous persuade que nous ne sommes pas dans les conditions dont nous venons de parler, si nous ne pouvons nous unir à quelqu'un, avoir de la foi gros comme un grain de sénevé, et faire les œuvres de miséricorde qu'indique le Prophète, nous pouvons recourir à cette importunité qui est possible à tous et qui suffit pour obtenir de Dieu tout ce que nous lui demandons. Il faut donc persévérer dans la prière, sans hésitation , avec une pleine confiance, et ne jamais douter que nous n'obtenions tout ce qui sera conforme au bon plaisir de Dieu. Car Dieu lui-même, dans son désir de nous accorder les biens célestes et éternels, nous exhorte à lui faire violence par nos importunités, qu'il ne méprise pas, qu'il ne repousse pas , mais qu'il loue, au contraire , et qu'il réclame, promettant d'écouter avec bonté ceux qui espèrent avec persévérance : « Demandez, et vous recevrez; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et il vous sera ouvert; car celui qui demande reçoit, celui qui cherche trouve, et il est ouvert à celui qui frappe » (S. Luc, XI, 9); et encore : « Tout ce que vous demanderez dans la prière avec confiance, vous le recevrez, et rien ne vous sera impossible. » (S. Matth., XXI , 22.)
Si donc toutes les autres choses qui pourraient nous faire exaucer nous manquent, usons du moins de celte importunité qui ne demande pas de mérite et de grands efforts, et qui dépend seulement de la volonté. Mais il est certain que celui qui doute d'être exaucé ne sera pas exaucé. Prions donc sans jamais nous lasser, à l'exemple du prophète Daniel, qui fut écouté de Dieu dès le premier jour, et qui n'obtint ce qu'il demandait que vingt et un jours après. (Daniel , X, 13.) Nous ne devons donc pas cesser de prier avec ferveur, quoique Dieu paraisse être lent à nous exaucer. Ces retards peuvent être une disposition de la Providence , ou l'ange que Dieu avait chargé de nous apporter ses grâces , a rencontré la résistance du démon , et il ne peut accomplir son message, s'il nous trouve refroidis dans notre prière1. C'est ce qui serait arrivé certainement au Prophète, si sa vertu incomparable ne l'avait pas fait persévérer dans ses prières pendant vingt et un jours.
Ne nous laissons pas aller au découragement, lorsque nous sentons que notre prière n'est pas exaucée , et ne doutons pas de la promesse de Dieu qui a dit : « Tout ce que vous demanderez avec confiance dans la prière , vous le recevrez. » (S. Matth., XXI, 22.) Il ne faut pas rejeter cette parole de l'évangéliste saint Jean, qui tranche toute difficulté à ce sujet : « Voici la confiance que nous avons en Dieu : tout ce que nous lui demanderons de conforme à sa volonté, nous l'obtiendrons. » (S. Jean , V, 14.)
Il veut donc que nous n'ayons une entière confiance dans nos prières , que quand elles ont pour règle sa volonté et non pas notre bien-être et notre consolation temporelle. C'est ce que nous disons nous-mêmes dans l'Oraison dominicale : « Que votre volonté soit faite et non la nôtre. » Si nous nous rappelons ce que dit l'Apôtre : « Nous ne savons ce qu'il faut demander et comment il faut demander, » nous comprendrons que souvent nous demandons des choses contraires à notre salut, et que Dieu, qui voit bien mieux que nous ce qui nous est utile , nous fait une grande grâce en nous les refusant. Il en fut certainement ainsi pour l'Apôtre des nations, qui demandait d'être délivré de cet ange de Satan , auquel Dieu permettait , pour son bien , de l'insulter : « Par trois fois, dit-il , j'ai demandé au Seigneur de l'éloigner de moi, il m'a été répondu : Ma grâce te suffit; car la vertu se perfectionne dans la faiblesse. » (I Cor., XII, 9.) Notre-Seigneur, revêtu de notre humanité , a voulu nous donner en cela l'exemple , comme il l'avait fait pour le reste. Il disait dans sa prière : « Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi; cependant qu'il soit fait , non pas selon ma volonté, mais selon la vôtre (S. Matth., XXVl, 39) ; et ainsi sa volonté ne différait en rien de la volonté de son Père , « car il était venu sauver ce qui avait péri (S. Matth., XVIII, 11) et donner sa vie pour la rédemption d'un grand nombre. » (S. Matth., XX, 18.) Il avait dit lui-même : « Personne ne m'ôte la vie, c'est moi qui la quitte volontairement; j'ai le pouvoir de la quitter, et j'ai aussi le pouvoir de la reprendre. » (S. Jean , X, 17.)
David exprime cette union intime des volontés du Fils et du Père : « C'est votre volonté , mon Dieu, que j'ai voulu faire.» (Ps. XXXIX, 9.) Il est dit du Père : « Dieu a tellement aimé le monde , qu'il lui a donné son Fils unique » (S. Jean , III , 16) ; et il est écrit du Fils : « Il s'est livré lui-même pour nos péchés. » (Galat., I, 4.) Il est encore dit du Père : « Il n'a pas épargné son propre Fils , mais il l'a livré pour nous » (Rom., VII, 32), et du Fils : « Il s'est offert parce qu'il l'a voulu. » (Isaïe, LIII, 7.) La volonté du Père et du Fils est donc en toute chose la même, et les deux volontés se sont également accordées dans le mystère de la Résurrection ; car l'Apôtre dit que le Père a ressuscité le corps de Jésus Christ, » et c'est Dieu le Père qui a ressuscité son Fils d'entre les morts» (Gal., I, 1) ; et le Fils a déclaré qu'il relèverait le temple de son corps : « Détruisez le temple, a-t-il dit, et je le rétablirai en trois jours. » (S. Jean, II, 19.)
Suivons donc l'exemple de Notre-Seigneur et terminons toutes nos prières en disant : « Cependant, qu'il soit fait, non pas selon ma volonté, mais selon la vôtre.» C'est ce que rappellent les trois inclinations que font les religieux, en achevant ensemble leurs prières. Celui qui n'y pense pas ne saurait en comprendre le sens.
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La résistance du démon ne peut arrêter l'action des bons anges auprès de nous que par notre complicité. ↩