21.
Comment ne pas déplorer la folie de ceux qui , après avoir renoncé généreusement à leurs biens, aux richesses et aux enchantements du siècle, ne peuvent se détacher des choses petites et grossières dont ils se servent dans leur état, et les aiment avec plus de passion que tout ce qu'ils possédaient autrefois? Il leur profitera bien peu d'avoir méprisé de grandes richesses, de grands biens, s'ils ont reporté leurs affections sur des choses petites et méprisables. Leurs désirs et leur avarice, ne pouvant plus s'appliquer à des choses précieuses, s'exercent sur de viles matières, et ils montrent que leur passion n'est pas détruite , mais qu'elle a seulement changé d'objet. Ils possèdent avec la même ardeur qu'autrefois des meubles sans valeur, une natte, une corbeille, une boite, un livre ; ils en sont si jaloux que , pour les garder et les défendre, ils n'ont pas honte de s'irriter contre leurs frères et même de les quereller. La cupidité qu'ils avaient dans le monde les tourmente encore; et pour les choses nécessaires à la vie religieuse, ils ne se contentent pas de la part commune; ils montrent leur avarice secrète, en voulant avoir plus que les autres, en ne permettant pas qu'on touche à ce qui leur sert ou en se réservant ce qui devrait être commun à tout le monde. Est-ce la nature des objets et non pas la passion avec laquelle on s'y attache , qui rend coupable? et s'il n'est pas permis de se mettre en colère pour des causes sérieuses, n'est-il pas aussi mal de le faire pour des futils motifs? Quand on a renoncé aux choses précieuses, n'est-il pas plus facile de mépriser les choses grossières? Quelle différence y a-t-il à se passionner pour d'abondantes richesses ou pour des bagatelles, et n'est-on même pas plus blâmable d'avoir méprisé les grandes choses pour se rendre esclave des petites? Ce renoncement n'est pas certainement parfait , puisque celui qui a pris la vie du pauvre a conservé la volonté du riche.