A SAINT PAULIN. SUR L’ÉTUDE DES LIVRES SACRÉS.
Sa nécessité et son importance. — Eloge de Platon. — Réputation de Tite-Live. — Le Pentateuque. — Le livre des Lois. — Les livres de Salomon. — Les Prophètes. — Les quatre Evangélistes. — Les Actes des Apôtres. — Les épîtres de saint Paul. — L'Apocalypse.
Lettre écrite du monastère de Bethléem, en 394.
J'ai reçu de notre frère Ambroise, avec vos présents, une lettre qui m'a causé un véritable plaisir; car, quoique votre amitié commence, on aperçoit en vous toute la fidélité d'un vieil ami. En effet, l'amitié n'est jamais plus sincère et plus solide que lorsqu'elle est fondée, non pas sur aucun intérêt temporel, sur la seule présence des amis, sur d'indignes flatteries, sur des complaisances affectées, mais sur la crainte du Seigneur et sur l'amour des saintes Écritures.
Nous lisons dans les anciens historiens qu'il y a eu des hommes qui ont parcouru les provinces, voyagé parmi les nations étrangères et passé les mers, afin de voir de leurs propres yeux des personnages célèbres qu'ils ne connaissaient que par leurs ouvrages. Pythagore, par exemple, alla consulter les sages de Memphis; Platon vint à Tarente écouter Architas, après avoir parcouru, avec beaucoup de peines, l'Égypte et toute cette côte d'Italie appelée autrefois la Grande-Grèce. Quoique maître et puissant à Athènes, où sa doctrine était reçue dans toutes les écoles de l'académie, il se fit voyageur et disciple; aimant mieux écouter les autres avec modestie que de répandre ses opinions par vanité. Enfin tandis qu'il cherchait avec empressement des connaissances qui semblaient se dérober à son zèle et à ses poursuites, il fut pris et vendu par des pirates; mais, quoique esclave d'un barbare qui le chargea de chaînes et qui lui fit sentir toutes les rigueurs d'une dure captivité, néanmoins la vertu et la sagesse dont il faisait profession le rendirent supérieur à celui qui l'avait acheté.
Nous lisons aussi que des personnes illustres vinrent à Rome, des extrémités de l'Espagne et des Gaules, attirées non point par la magnificence de cette grande ville, mais par l'immense réputation de Tite-Live, dont les écrits purs et éloquents occupaient les hommes distingués. Il y eut alors un spectacle extraordinaire et admirable; ce fut de voir dans Rome, cette ville immense et si célèbre, des gens qui venaient y chercher une réputation plus grande que la sienne même.
Apollonius, soit qu'il fut magicien, comme on le croit communément, soit qu'il fût philosophe, comme les disciples de Pythagore le prétendent, parcourut la Perse, le mont Caucase, l'Albanie, la Scythie, les pays des Messagètes et les riches royaumes des Indes; et après avoir passé le Gange, il alla chez les Brachmanes1 pour entendre Hiarchas2 qui, assis sur un trône d'or et buvant de l'eau de la fontaine de Tantale, enseignait à un petit nombre d'écoliers les secrets de la nature, le mouvement des astres et le cours journalier du soleil. De là il passa chez les Elamites, les Babyloniens, les Chaldéens, les Mèdes, les Assyriens et les Parthes, visita la Syrie, la Phénicie, l'Arabie, la Palestine; et, de retour à Alexandrie, il alla en Ethiopie voir les Gymnosophistes3, et cette fameuse table du soleil4 qui est au milieu des sables. Il trouvait partout quelque chose de nouveau à apprendre, et ne cherchait qu'à faire des progrès dans les sciences et dans la vertu. C'est ce que nous apprend l'histoire de sa vie, que Philostrate a écrit fort au long en huit livres.
Mais pourquoi m'arrêter ici aux exemples des auteurs profanes? Saint Paul, ce vaisseau d'élection, ce docteur des nations, fortifié par la présence de celui qu'il portait au dedans de lui-même, ne disait-il pas avec confiance: « Est-ce que vous voulez. éprouver la puissance de Jésus-Christ, qui parle par ma bouche? » Après avoir demeuré longtemps à Damas, et parcouru toute l'Arabie, n'alla-t-il pas à Jérusalem pour conférer avec saint Pierre, chez qui il demeura quinze jours, afin de s'instruire durant ce temps-là de l'Évangile qu'il prêchait aux Gentils? Quatorze ans après, ayant quitté Tite et Barnabé, il alla encore à Jérusalem pour rendre compte aux apôtres de l'Évangile qu'il prêchait, afin de profiter de de ce qu'il avait déjà fait ou de ce qu'il lui restait à faire dans le cours de son ministère. En effet, les instructions que l'on donne de vive voix ont je ne sais quelle vertu secrète qui touche et persuade tout à la fois; et lorsqu'elles viennent d'un maître habile, elles font sur l'esprit et le coeur de ceux qui l'entendent de plus vives impressions. De là vient qu'Eschine, étant exilé à Rhodes, et entendant lire la harangue que Démosthène avait composée contre lui, dit en soupirant à ceux qui louaient et admiraient cette pièce : «Que serait-ce, hélas ! si vous aviez entendu cet orateur prononcer lui-même son plaidoyer? »
Quand je parle de la sorte, ce n'est pas que je me pique de savoir quelque chose qui soit digne de vos recherches ou de votre attention ; mais c'est qu'indépendamment de ce que vous espérez de moi, je crois devoir louer votre zèle ardent pour l'étude. Car un esprit docile est toujours digne de louanges, bien qu'il n'ait point de maître pour le former. Je n'examine pas tant ce que je puis l'aire pour vous que ce que vous attendez de moi. Une cire molle, quoique informe, contient en elle-même toutes les figures qu'un habile ouvrier peut lui donner. L'apôtre saint Paul se fait gloire d'avoir appris la loi de Moïse et les prophètes aux pieds de Gamaliel, de sorte que, muni de ces armes spirituelles, il put ensuite dire avec confiance: « Les armes de notre milice ne sont point matérielles, mais puissantes en Dieu pour renverser les remparts qu'on leur oppose: c'est avec ces armes que nous détruisons les raisonnements humains, comme tout ce qui s'élève avec hauteur contre la science de Dieu, et que nous réduisons en servitude tous les esprits, pour les soumettre à l'obéissance de Jésus-Christ, ayant. en main le pouvoir de dompter tous les rebelles. » Le même apôtre exhorte Timothée, qui dès ses plus tendres années avait été élevé dans l'étude des saintes Ecritures, à s'appliquer sans cesse à cette divine lecture, pour ne pas négliger la grâce qu'il avait revue par l'imposition des mains. Après avoir tracé à Tite le portrait d'un évêque et des vertus qu'il doit posséder, il lui ordonne de n'élever à cette haute dignité que ceux qui joindront à toutes ces vertus la science de l'Ecriture sainte. « Il faut, » dit-il, « qu'un évêque soit fortement attaché à la parole de vérité, telle qu'on la lui a enseignée, pour exhorter selon la saine doctrine et convaincre ceux qui s'y opposent. »
En effet un ignorant, quelque vertueux qu'il puisse être d'ailleurs, n'est bon que pour lui-même ; et s'il ne s'oppose pas à ceux qui attaquent l’Eglise de Dieu, il lui nuit autant par son ignorance qu'il l'édifie par sa vertu. « Allez demander aux prêtres l'explication de la loi, » dit Aggée, ou plutôt le Seigneur par la bouche de ce prophète: tant il est vrai qu'un prêtre est obligé, par son ministère, de répondre à toutes les questions qu'on lui adresse sur la loi de Dieu. « Interrogez votre père, et il vous enseignera; interrogez vos anciens et ils vous instruiront. » Et dans le psaume cent dix-huitième : « Je chante votre sainte loi dans le lieu de mon pèlerinage. » David, après le portrait de l'homme juste et l'éloge de ses vertus, le compare à l'arbre de vie qui est dans le paradis, et ajoute : « Il met toute son affection dans la loi du Seigneur, et il la médite jour et nuit. » Daniel, à la fin de sa vision, dit que les justes brillent comme les étoiles, et que les savants sont semblables au tir manient. Vous voyez par là quelle différence il y a entre un homme vertueux, privé de lumières, et un homme qui sait allier la vertu à la science; puisque le prophète compare celui-là aux étoiles, et celui-ci au firmament. On peut néanmoins, en suivant le texte hébreu, entendre l'un et l'autre de ceux qui se distinguent par leur science, car voici son sens: « Les savants brilleront d'un éclat pareil au firmament, et ceux qui apprennent aux autres les voies de la justice brilleront comme des astres durant toute l'éternité. »
Pourquoi saint Paul a-t-il été appelé « vaisseau d'élection? » N'est-ce point parce qu'il était rempli de la loi de Dieu et de la science des saintes Ecritures? Les pharisiens étaient tout surpris d'entendre Jésus-Christ parler des choses de Dieu avec tant de sagesse, et ils admiraient la connaissance de la loi dans saint Pierre et saint Jean,qui n'avaient jamais étudié. Mais le Seigneur, comme parle l'Ecriture, les instruisait lui-même, et le Saint-Esprit leur inspirait, ce que les autres n'apprennent que par de longues méditations et. un travail continuel. Le Fils de Dieu, avant atteint. l'âge de douze ans, alla au temple, et proposa aux anciens quelques difficultés sur la loi, mais avec tant de sagacité, que les questions qu'il leur fit lurent autant d'instructions pour eux. Saint Pierre et saint Jean étaient des hommes ignorants, eux qui pouvaient dire l'un et l'autre: « Si je suis peu habile dans l'art de parler, il n'en est pas de même pour la science. » Saint Jean n'était-il pas un homme rustique et un pauvre pêcheur? D'où venaient donc, je vous prie, ces belles paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. » Car ce mot « Verbe» signifie en grec plusieurs sortes de choses; on le prend tantôt pour la « parole, » tantôt pour la « raison; » quelquefois il veut dire « supputation, » ou la « cause universelle de tous les êtres. » Or toutes ces expressions conviennent parfaitement à Jésus-Christ.
Ces grandes vérités ont été inconnues aux Platon et aux Démosthènes. « Je perdrai, » dit Dieu, « la sagesse des sages et je réprouverai la science des savants. » La véritable sagesse confondra la fausse prudence des hommes. Quoique la prédication de la croix paraisse une folie aux yeux du monde, néanmoins saint Paul prêche la sagesse aux parfaits : « Non la sagesse de ce monde ni des princes de ce monde qui se détruisent, mais la sagesse de Dieu, cette sagesse cachée dans le mystère et prédestinée avant tous les siècles. » Ce que saint Paul dit ici de la sagesse de Dieu, il faut l'appliquer à Jésus-Christ; car il est la vertu et la sagesse de Dieu. Or cette sagesse est cachée dans le mystère; de là vient que David a intitulé le neuvième psaume : « Pour les secrets du Fils, » c'est-à-dire, de ce Fils qui a en lui tous les trésors de la science et de la sagesse, et qui, caché dans le mystère, a été prédestiné avant tous les siècles et représenté sous la figure de la loi et des prophètes. C'est pour cela qu'on appelait ceux-ci « voyants, » parce qu'ils voyaient celui qui était caché et inconnu à tous les autres. Abraham vit le jour de ce divin Sauveur, et il s'en réjouit. Le ciel fut ouvert à Ezéchiel, tandis qu'il était fermé à un peuple pécheur. « Otez le voile de dessus mes yeux, » disait David, « afin que je puisse contempler les merveilles de votre loi. » Comme la loi de Dieu est spirituelle, nous avons besoin de la révélation pour comprendre Dieu et contempler sa gloire face à face.
Saint Jean parle, dans son Apocalypse, d'un livre fermé avec sept sceaux. « Donnez ce livre à un homme qui saura lire, il vous répondra Je ne saurais le lire, parce qu'il est fermé. » Combien en voyons-nous aujourd'hui qui se flattent d'être savants, et qui ne sauraient ouvrir ce livre scellé, à moins qu'il ne leur soit ouvert par celui « qui a la clef de David, laquelle ouvre ce que personne ne peut fermer, et ferme ce que personne ne peut ouvrir. » Nous lisons dans les Actes des Apôtres, que saint Philippe ayant demandé à l'eunuque de la reine d'Éthiopie, qui lisait le prophète Isaïe, s'il entendait bien ce qu'il lisait, cet homme (car c'est ainsi que l'Écriture le désigne) répondit : « Comment puis-je l'entendre si quelqu'un ne m'en donne l'intelligence? » Pour moi ( s'il faut en parler), je n'ose me flatter d'être ni plus saint, ni plus attaché à l'étude de l'Écriture que cet eunuque qui quitta la cour et vint du fond de l'Éthiopie, c'est-à-dire des extrémités du monde, visiter le temple de Jérusalem, et qui était si passionné pour la science de la loi de Dieu et des saintes Ecritures qu'il les lisait même sur son char. Mais quoiqu'il eût le livre entre les mains, qu'il entendît bien les paroles du prophète, et qu'il les répétât souvent, néanmoins il ne savait quel était celui qu'il ado. rait dans ce livre sans le connaître. Saint Philippe, l'ayant abordé, lui fit connaître Jésus-Christ, qui était caché sous les paroles qu'il lisait. Admirez ici les avantages qu'on peut tirer des instructions d'un habile maître. Cet officier dans un même moment croit à Jésus-Christ, reçoit le baptême, entre parmi les fidèles, devient maître de disciple qu'il était, et trouve dans les eaux sacrées de l'Église , quoique peu fréquentées alors, ce qu'il avait inutilement cherché dans le magnifique temple de la synagogue.
Comme les bornes d'une lettre ne me permettent pas de m'étendre plus au long sur ce sujet, je me contente de vous dire ceci en passant, pour vous faire comprendre que vous avez besoin d'un maître dans l'étude des saintes Ecritures, et que vous ne devez point vous engager sans guide dans des routes si difficiles. Je ne dis rien ici des grammairiens, des orateurs, des philosophes, des géomètres, des astronomes, ni des médecins, dont la science est si utile aux hommes, et dans laquelle on distingue les règles, la méthode et la pratique; je ne parle que des arts mécaniques, où l'on se sert plus de la main que de la langue. Tous ceux qui exercent quelque métier, comme laboureurs, maçons, forgerons, charpentiers, drapiers, tous ces ouvriers ne sauraient jamais se rendre habiles dans leur profession sans le secours d'un maître.
Le médecin s'en tient à son art, le forgeron à sa profession; il n'y a que la science de l'Écriture sainte dans laquelle chacun veut être maître. Ignorants et savants, tous se mêlent d'écrire.
Une vieille femme qui bavarde sans cesse, un vieillard qui radote, un sophiste qui ne sait se taire, tous se piquent d'entendre la sainte Ecriture. Chacun la commente de son côté, et prétend l'enseigner avant de l'avoir apprise. Les uns, prenant un air de pédant et un ton de professeur, agitent, dans un cercle de femmes, les questions les plus difficiles; quelques-uns n'ont point honte d'apprendre des femmes même ce qu'ils doivent enseigner aux autres. Ils portent même leur impudence plus loin; car, enorgueillis de leur facilité à s'exprimer, ils viennent effrontément montrer aux autres ce qu'ils n'entendent pas eux-mêmes. Je ne parle point de ceux qui, comme moi, s'appliquent à l'étude de l’Ecriture sainte, après avoir étudié les lettres humaines; s'ils plaisent à leurs auditeurs par un style élégant et recherché, ils prétendent qu'on doit recevoir tout ce qu'ils disent, 1 comme s'il sortait de la bouche de Dieu même; et sans se mettre en peine d'expliquer le véritable sens des prophètes et des apôtres, ils font violence aux passages de l'Ecriture pour la concilier avec leurs propres idées, comme si c'était quelque chose de grand, ou plutôt comme si ce n'était pas une faute très grave de l'altérer et de lui donner un sens forcé. C'est ainsi que certains auteurs, accommodant à leurs idées les vers d'Homère et de Virgile, en ont composé des ouvrages qu'on appelle Centons. On pourrait, d'après cela, faire de Virgile un chrétien, tout païen qu'il était, parce qu'il a dit : « Déjà la Vierge est de retour, et l'âge d'or revient aussi. C'est le ciel qui nous a donné l'enfant qui vient de naître5. »
On pourrait mettre ces paroles dans la bouche de l'Eternel : « Mon Fils, vous êtes seul et ma force et ma puissance6. »
On pourrait dire du Sauveur, parlant du haut de la croix où il était attaché : « Il parle de la sorte et cependant il reste immobile7. »
Que toutes ces applications sont puériles! Ne faut-il pas être un charlatan pour entreprendre d'enseigner aux autres ce qu'on ignore, ou plutôt (car je rie puis m'empêcher de traiter ici des hommes de ce caractère avec toute l'indignation qu'ils méritent) pour ne pas se convaincre soi-même de sa propre ignorance?
Quoi donc? est-ce qu'il n'y a aucune difficulté dans le livre de la Genèse, qui comprend l’histoire de la création du monde, de la formation de l'homme, de la division de la terre, de la confusion des langues, et de l'entrée des Hébreux en Egypte? N'en trouve-t-on point dans l'Exode, où il est parlé des dix plaies dont le Seigneur frappa Pharaon, du Décalogue et, des commandements de Dieu, qui renferment tant de mystères? Le Lévitique est-il si aisé à comprendre? Le nombre des sacrifices, les habits du grand-prêtre, les différents emplois des Lévites, les syllabes même de ce livre divin, tout y est mystère. Le livre des Nombres n'est-il pas tout mystérieux, soit dans le dénombrement du peuple, soit dans la prophétie de Balaam, soit dans les quarante-deux campements que les Israélites firent dans le désert? Le Deutéronome, une seconde loi et figure de l'Evangile, ne renferme-t-il pas ce qui a été dit dans les autres livres, de manière cependant qu'il semble être un livre tout nouveau? Ce sont là les cinq livres de Moïse, qu'on appelle le Pentateuque, et qui sont comme les cinq paroles que l'apôtre saint Paul se fait gloire de prononcer dans l'assemblée des fidèles.
Combien de mystères Job, ce beau modèle de patience, n'a-t-il pas renfermés dans le livre qui porte son nom8 ? Le commencement et la fin de ce livre sont en prose, et le reste en vers. L'auteur y observe exactement toutes les règles de la dialectique, proposant d'abord le sujet de son discours, le prouvant ensuite par des raisonnements, le fortifiant par des autorités et tirant enfin des conclusions. Toutes les expressions sont vives et pathétiques, et il parle surtout de la résurrection des morts d'une manière si claire et si positive que jamais personne ne s'en est mieux expliqué. «Je sais, » dit-il, « que mon rédempteur est vivant, et que je ressusciterai de la terre au dernier jour, que je verrai mon Dieu dans ma chair; que je le verrai, dis-je, moi-même, et non un autre, et que je le contemplerai de mes propres yeux. C'est là l'espérance que j'ai, et qui repose toujours dans mon coeur. »
Venons à Josué, fils de Navé, figure de Jésus-Christ, non-seulement par ses actions, mais encore par son nom. Il passe le Jourdain, il se rend maître du pays ennemi, il le divise entre les Israélites victorieux, et, par le partage qu'il fait des villes, des bourgs, des montagnes, des fleuves, des torrents et des frontières de la Palestine, il nous représente une image du royaume spirituel de l'Église, et de la Jérusalem céleste.
Tous les gouverneurs du peuple d'Israël, dont il est parlé dans les livres des Juges, sont autant de figures des choses futures. Nous voyons dans Ruth, qui était Moabite, l'accomplissement de cette prophétie d'Isaïe : « Seigneur, envoyez l'agneau dominateur de la terre, de la pierre du désert, à la montagne de la fille de Sion. »
Les livres9 de Samuel nous montrent, dans la mort d'Héli et de Saül, une figure de l'abolition de l'ancienne loi, et nous représentent en la personne du grand-prêtre Sadoch et du roi David l'établissement d'un nouveau sacerdoce et d'un nouvel empire. Le troisième et le quatrième livre des Rois, que les Hébreux appellent « Malachim, » contiennent l'histoire des rois de Juda, depuis Salomon jusqu'à Jéchonias, et des Rois d'Israël, depuis Jéroboam fils de Nabat, jusqu'à Osée, qui fut mené captif à Babylone.
Si vous vous arrêtez à l'histoire, le récit en est très simple; si, au contraire, vous vous arrêtez à l'esprit caché sous la lettre, vous v verrez et le petit nombre de fidèles, et les guerres des hérétiques contre l'Église.
Les douze prophètes contenus en un seul volume renferment un bien autre sens que le sens littéral.
Osée parle souvent d'Ephraïm, de Samarie, de Joseph, de Jezraël, de la prostituée et de ses enfants, de la femme adultère enfermée dans la chambre de son mari, restée longtemps seule et attendant son retour vêtue d'habits de deuil.
Joël, fils de Phatuel, nous montre les terres des douze tribus ravagées par les chenilles, les vers, la nielle et les sauterelles ; puis, après la ruine de l'ancien peuple, la descente du Saint-Esprit sur les serviteurs et les servantes de Dieu, c'est-à-dire la descente du Saint-Esprit sur les cent vingt croyants réunis dans le cénacle de Sion. Or ce nombre de cent vingt, si l'on compte en multipliant depuis un jusqu'à quinze, amène le nombre de quinze degrés renfermé mystérieusement dans le livre des psaumes.
Amos, berger, paysan, qui cueillait des mures sauvages, ne peut être connu en quelques lignes; car qui peut nous mettre dans le secret de trois ou quatre crimes de Damas, de Gaza, de Tyr, de l'Idumée, des fils d'Ammon, de Moab, et en dernier lieu de Juda et d'Israël ? Ce prophète s'adresse à des vaches grasses de la montagne de Samarie et à la grande et petite maison dont il prédit la ruine. Il voit tantôt celui qui produit les sauterelles; tantôt le Seigneur se tenant sur une muraille crépie, ou de diamant; tantôt un crochet servant à faire tomber les fruits, figure énergique des supplices que les pécheurs se préparent, et de la faim qui domine en ce monde, non la faim du pain ni la soif de l'eau, mais la soif de la parole de Dieu.
Abdias, qui veut dire « esclave de Dieu, » s'élève contre Edom, cet homme de terre et de sang, et il frappe moralement cet incessant ennemi de Jacob.
Jonas, qui signifie une belle colombe, représentant par son naufrage la Passion du Sauveur, appelle, sous le nom de Ninive, le monde à la pénitence et annonce le salut aux nations.
Michée de Morasthi, cohéritier de Jésus-Christ, prédit à la fille du voleur ( Jérusalem) son pillage; il en fait en quelque sorte le siège, pour avoir frappé à la joue le prince d'Israël.
Nahum, consolateur de l'univers, apostrophe la ville de sang (Ninive), et, après sa ruine qu'il annonce, il s'écrie : « Voilà, sur la montagne, les pieds de celui qui apporte la bonne nouvelle et annonce la paix. »
Habacuk, lutteur fort et vigoureux, se tient sur ses gardes, et fixe sa lance sur la muraille pour contempler le Christ sur la croix et dire « Sa gloire a couvert les cieux, et la terre est remplie de ses louanges; sa splendeur est éclatante comme la lumière, sa force est dans ses mains; c'est là que réside sa puissance. »
Sophonias, méditateur et connaisseur des secrets de Dieu, entend un grand cri à la porte aux poissons, un gémissement à la seconde porte, et le bruit du carnage sur les collines. Il exhorte les habitants, qui devaient être pilés comme dans un mortier, à pousser des hurlements; « car, » dit-il, « toute la race de Chanaan est réduite au silence, et tous les hommes couverts d'argent ont péri. »
Aggée, c'est-à-dire « solennel et joyeux, » qui a semé dans les larmes pour recueillir dans la joie, rétablit le temple et fait aussi parler Dieu le Père : « Encore un peu de temps et j'ébranlerai le ciel et la terre, la mer et l'espace, et je remuerai tous les peuples, et le Désiré de toutes les nations viendra. »
Zacharie, qui signifie «souvenir du Seigneur, » offre plusieurs prophéties; il voit Jésus revêtu d'habits sales, une pierre qui a sept yeux, un chandelier d'or à sept branches, et deux oliviers à droite et à gauche; des chevaux roux, blancs, tachetés; les chariots d'Ephraïm dispersés, un cheval chassé de Jérusalem; puis il présage la venue d'un roi pauvre, monté sur le poulain d'une ânesse qui est sous le joug.
Malachie, ce dernier de tous les prophètes, parlant ostensiblement de la réprobation des Juifs et de la vocation des Gentils, dit : « Ma volonté n'est point pour vous, » dit le Seigneur Dieu des armées, « et je ne recevrai point de présents de votre main; car, depuis l'Orient jusqu'à l'Occident, mon nom est grand parmi les nations, et l'on m'offre en tous lieux des sacrifices purs. »
Qui peut comprendre ou expliquer Isaïe, Jérémie, Ezéchiel et Daniel ? Quant, au premier, il me parait plutôt rapporter l'Évangile que faire une prophétie.
Le second voit une baguette de coudrier, une chaudière enflammée du côté de l'aquilon, et un léopard dépouillé de ses couleurs; et il fait quatre sortes de vers au moyen de l'alphabet.
Le troisième a de si grandes obscurités à son commencement et à sa fin, que les Hébreux ne pouvaient le lire, avec le commencement de la Genèse, avant l'âge de trente ans.
Le quatrième, ce dernier des quatre grands prophètes, qui a la connaissance des temps et de toute l'histoire du monde, prédit d'une manière claire qu'une pierre, se détachant d'elle-même d'une montagne, renversera tous les royaumes de la terre.
David, notre Simonide, notre Pindare, notre Alcée, notre Horace, notre Catulle et notre Serenus, chante la gloire de Jésus-Christ sur la lyre, et sa résurrection sur un instrument à dix cordes.
Salomon, le pacifique, le bien-aimé du Seigneur, nous trace des règles de conduite, nous instruit de la nature des choses, célèbre l'union de Jésus-Christ avec l'Église, et chante l'épithalame de ces noces sacrées.
Le livre des Paralipomènes, abrégé de l'Ancien-Testament, est d'une si haute importance qu'il y aurait folie à vouloir sans lui connaître l'Écriture; car, par les noms et la liaison même des mots, on éclaircit quelques points d'histoire omis dans le livre des Rois, ou les nombreuses questions de l'Évangile.
Esdras et Nehemias, suscités parle Seigneur dans l'intérêt du peuple, sont renfermés dans un volume qui traite de la restauration du temple et du rétablissement des murailles de la ville. Le dénombrement de tout le peuple qui revient en foule dans sou pays, des prêtres, des Lévites, des prosélytes, et des travaux publics distribués à chaque famille, offre un sens littéral et un sens spirituel.
Emporté par l'amour de l'étude des saintes Écritures, j'ai dépassé, comme vous le voyer, les bornes d'une lettre, et cependant je n'ai pas encore fait ce que j'ai voulu. J'ai seulement indiqué ce que nous devons connaître et ce que nous devons désirer, afin que nous puissions dire aussi avec David : « Mon âme désire de méditer votre loi en tout temps. » Au reste, ce mot de Socrate nous convient: « Je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien. »
Je parlerai aussi, mais en peu de mots, du Nouveau-Testament. Mathieu, Marc, Luc et Jean sont le chariot du Seigneur et de véritables chérubins, c'est-à-dire la plénitude de la science. « Tout leur corps, » comme dit le prophète Ezéchiel , « est plein d'yeux ; ils brillent comme des étincelles, ils éclatent en l'air comme la foudre, ils ont les pieds droits et tendant à s'élever, ils ont des ailes par-derrière et volent partout, ils se tiennent réciproquement, sont attachés l'un à l'autre, et entraînés comme une roue par une autre roue; ils s'avancent partout où les emporte l'inspiration du Saint-Esprit. »
L'apôtre saint Paul a écrit à sept Eglises (car beaucoup n'admettent pas sa lettre aux Hébreux). Il instruit Timothée et Tite, et demande à Philémon la grâce d'un esclave fugitif. Mais je crois qu'il vaut mieux ne rien dire de cet apôtre, que de n'en pas parler assez.
Les Actes des Apôtres ne semblent d'abord qu'une histoire fort simple, celle du commencement de l'Église; mais si nous remarquons que son auteur est Luc, médecin, qui s'est illustré par son Evangile, nous verrons que toutes ses paroles sont un remède pour les âmes malades.
Les apôtres saint Jacques, saint Pierre, saint Jean et saint Jude, ont écrit sept lettres aussi mystérieuses que concises, brèves et longues tout à la fois, brèves en paroles, mais pleines d'idées : de sorte qu'il y a peu de personnes qui les comprennent bien.
L'Apocalypse de saint Jean compte autant de mystères que de mots, c'est même peu dire de cet ouvrage; et l'éloge est ici au-dessous du livre, dont chaque parole renferme un sens différent.
Je vous le demande, très cher frère, vivre au milieu de ces livres, les méditer, les connaître et ne chercher qu'eux, cela ne vous semble-t-il pas constituer, sur la terre, un avant-goût du bonheur du ciel ?
Je ne veux pas que vous soyez blessé de la simplicité et comme de la familiarité du style de l'Ecriture sainte, familiarité qui vient ou de la faute ou peut-être du système des interprètes, qui ont l'ait leur traduction pour la mettre à la portée des intelligences ordinaires, et pour la faire comprendre, quoique d'une manière différente, du savant comme de l'ignorant.
Quant à moi, je ne suis ni assez vain ni assez inconsidéré pour me vanter de connaître à fond les livres sacrés, et pour cueillir les fruits d'un arbre qui a ses racines dans le ciel; mais j'avoue en avoir la volonté. Je me préfère à celui qui reste oisif, je ne fais pas le professeur, je m'offre seulement comme camarade d'étude. « On donne à celui qui demande, on ouvre à celui qui frappe, et celui qui cherche trouve, » dit l'évangile de saint Mathieu.
Apprenons donc, sur la terre, la science qui nous restera dans le ciel. Je vous recevrai à bras ouverts ; et tout ce que vous chercherez, quoique je me laisse peut-être, comme Hermagoras, emporter à ma vanité, je tâcherai de l'apprendre avec vous.
Votre cher frère Eusèbe, qui est ici, a ajouté à la joie que m'a causée votre lettre par ce qu'il m'a dit de la douceur de vos moeurs, de votre mépris pour le siècle, de la constance de votre amitié, et de votre amour pour Jésus-Christ. Quant à votre prudence et à votre éloquence, votre lettre me les faisait assez connaître; hâtez-vous, je vous prie, et, au lieu de lever l'ancre, coupez plutôt le câble qui retient votre vaisseau, Celui qui a renonce au siècle et est décidé à vendre les biens qu'il méprise ne doit pas chercher à les bien vendre; tout ce que vous perdrez, regardez-le comme un bénéfice. Les anciens ont dit : « Ce que l'avare possède lui fait défaut aussi bien que ce qu'il ne possède pas. »
« Le croyant a tout un monde de richesses, l'incroyant manque même d'une obole. » Vivons comme n'ayant rien et possédant tout. La nourriture et le vêtement sont les richesses des chrétiens. Si vous êtes maître de votre bien, vendez-le, sinon abandonnez-le. Laissez votre manteau à celui qui veut prendre votre tunique.
Pourquoi différer de jour en jour l'exécution de votre dessein? Appréhendez-vous que Jésus-Christ n'ait pas de quoi nourrir les pauvres, si vous n'avez soin de vendre peu a peu tout ce que vous possédez? On donne tout à Dieu quand on se donne soi-même. Les Apôtres n'abandonnèrent que leur barque et leurs filets. Les deux petites pièces de monnaie que la veuve de l'Evangile mit dans le tronc furent plus agréables aux yeux de Dieu que les richesses d'un Crésus. Celui-là méprise facilement tout qui pense toujours à la mort.
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C'est le nom que les Indiens donnaient à leurs sages et à leurs philosophes. ↩
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Philostrate, lib. 3, cap. 7, dit qu'il y avait dans l'école de Marchas une statue qui représentait Tantale, tenant à sa main une coupe pleine d’eau, dont ces philosophes buvaient avant de se coucher. Saint Jérôme l'appelle une fontaine, parce que, selon le même auteur, cap. X, cette coupe se remplissait à mesure qu'on la vidait. ↩
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C'est ainsi que les Égyptiens appelaient leurs philosophes et leurs sages. ↩
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Voici ce que Hérodote, lib. III, nous apprend de celte fameuse table du soleil : « On dit que la table du soleil est une prairie tiers d'une ville, où l'on trouve tous les malins de la chair rôtie de toutes sortes d'animaux à quatre pieds, que les magistrats de la même ville y font porter pendant la nuit,et que, quand il est jour, il est permis à chacun d'y venir faire bonne chère, les habitants du pays soutiennent que la terre produit ces viandes toutes les nuits, et c'est ce qu'on appelle la table du soleil! » ↩
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Ces vers sont de la Sibylle de Cumes, qui prédisait par là la naissance du Sauveur: Virgile s'en est servi pour célébrer la naissance de Pollio, arrivée au moment où Asinus Pollio, son père, venait de faire la paix entre Auguste et Marc-Antoine. Par le nom de Vierge, le poète entend la justice ou Astrée, fille de Jupiter et de Thémis. Mais ceux dont parle ici saint Jérôme appliquaient ces paroles à la sainte Vierge, mère de Jésus-Christ ↩
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C'est ainsi que Virgile fait parler Vénus à son fils Cupidon. ↩
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Le poète parle d'Anchise, qui refusait de suivre son lits Enée et de se dérober aux malheurs de sa patrie. ↩
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Saint Jérôme explique lui-même cet endroit dans sa préface sur le livre de job; car il dit que les deux premiers chapitres de ce livre sont en prose ; que, depuis le troisième verset du troisième chapitre jusqu'au septième verset du chapitre quarante-deuxième, ce sont des vers composés de dactyles et de spondées; et que le reste du quarante-deuxième chapitre, par où le livre finit, est en prose. ↩
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C'est ce que nous appelons les deux premiers livres des Rois. ↩