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Institutions Divines
IX.
Les louanges extraordinaires avec lesquels les païens relèvent l'état des siècles passés, font bien voir qu'ils reconnaissent qu'ils ne sont pas gens de bien, et que quand ils font réflexion sur eux-mêmes, ils se trouvent fort éloignés de la justice. Il est vrai aussi qu'au lieu de reconnaître cette justice qu'ils ont devant les yeux, et de la respecter, ils la méprisent, la haïssent, la persécutent et s'efforcent de l'exterminer. Supposons pour un peu de temps que celle dont nous faisons profession n'est pas la véritable; si celle qu'ils cherchent se présentait à eux, comment pourraient-ils la recevoir? Ils déchirent par toutes sortes de supplices ceux qui, de leur propre aveu, imitent les justes, et ils les exécutent à mort par le seul motif de l'aversion qu'ils ont pour la vertu. Quand ils n'auraient jamais fait mourir que des coupables, ils mériteraient que la justice s'éloignât d'eux, puisqu'elle n'a quitté la terre que par l'horreur qu'elle a eue de l'effusion du sang humain. Ils le méritent bien plus, puisqu'ils font mourir les personnes de piété et qu'ils les traitent plus mal que l'on ne traite les plus irréconciliables ennemis; car, bien qu'on les poursuive à main armée et qu'on emploie contre eux le fer et le feu, on ne laisse pas de leur pardonner dès qu'ils sont vaincus et d'user de clémence dans la plus grande chaleur de la guerre. Ceux qui les traitent avec la plus extrême rigueur, leur ôtent seulement ou la vie ou la liberté. Cependant on ne peut exprimer les maux que l'on fait souffrir à ceux qui n'en pourraient faire à personne. Ceux qui sont seuls innocents, sont traités comme les plus grands de tous les coupables. Comment est-ce donc que ces scélérats, qui surpassent en cruauté les bêtes les plus farouches, osent parler de la justice? Ils déchirent le troupeau de Dieu comme des loups qui sont animés de rage; mais cette rage a son siège, non dans l'estomac mais dans le cœur. Les violences qu'ils exercent contre l'innocent ne sont point enveloppées des nuages de la nuit ; elles sont éclairées des rayons du soleil. Les reproches de leur conscience ne les empêchent point de déchirer la justice et la piété avec une bouche qui est toujours pleine de sang. A quoi attribuerons-nous une haine aussi opiniâtre et aussi envenimée que celle-là? Est-ce que la vérité est odieuse, comme dit le poète ? et je crois que, quand il l'a dit, il était inspiré de Dieu. Ou bien quand est-ce que la présence des gens de bien couvre les méchants de confusion ? Il semble que l'on peut soutenir l'un et l'autre avec un très légitime fondement. En effet la vérité n'est aussi odieuse qu'elle l'est, que parce que celui qui fait le mal veut se maintenir dans la liberté de le faire, et qu'il voit que, pour jouir en sûreté du plaisir qu'il y trouve, il faut qu'il n'y ait personne qui n'approuve sa conduite. Les méchants ne veulent point d'autres témoins de leurs erreurs que ceux qui les autorisent ; et ceux qui les condamnent par l'exemple de leur vertu, leur sont tout à fait insupportables. Et en effet, pourquoi faut-il qu'il y ait de ces vertueux incommodes, dont l'intégrité et la pudeur sont un reproche continuel à la corruption de leur siècle ? Pourquoi ne sont-ils pas avares, fourbes, parjures, impudiques et adultères comme les autres? Il faut se défaire de ceux en présence desquels on a honte de faire le mal. Ils résistent en face aux méchants, non par leurs paroles puisqu'ils gardent le silence, mais par leurs actions: ils les reprennent et les confondent par l'opposition de leurs sentiments et de leur conduite. Il ne faut pas s'étonner que les méchants traitent les hommes de la sorte, puisque les Juifs, qui connaissaient Dieu et qui avaient l'espérance de ses promesses, se sont élevés pour le même sujet contre le Sauveur. Les gens de bien ne sauraient s'exempter des outrages que l'auteur et le modèle de leurs vertus a essuyés lui-même. Les païens inventent de nouveaux supplices pour tourmenter ceux qu'ils haïssent, et ils ne seraient pas contents de leur avoir ôté la vie, s'ils ne les avaient insultés aussi avec une cruauté inouïe. S'il arrive que quelques-uns, ou vaincus par la violence de la douleur, ou épouvantés par la crainte de la mort, ou abattus par leur propre infidélité, renoncent aux vérités qu'ils ont apprises, et aux mystères qu'ils ont reçus, et qu'ils consentent à sacrifier aux idoles, les païens leur donnent des louanges et leur rendent des honneurs pour attirer les autres par leur exemple dans ce même précipice. Mais quand ils en trouvent qui préfèrent la foi à toutes choses, et qui confessent librement qu'ils font profession du culte de Dieu, ils déchargent sur eux toute leur fureur et les déchirent avec toutes sortes d'instruments, comme s'ils avaient envie de boire leur sang. Ils les appellent des désespérés, parce qu'ils sont étonnés de voir qu'ils prodiguent leur propre vie. Mais qu'y a-t-il de si désespéré que de tourmenter et de mettre en pièces des personnes que vous savez être innocentes? Il n'est pas étrange qu'ayant renoncé aux sentiments de l'humanité, ils aient aussi renoncé à ceux de la pudeur, et qu'ils osent dire à des personnes très irréprochables, des injures qui ne conviennent qu'à eux-mêmes. Ils les appellent des impies, eux qui ont sans doute beaucoup de piété, et qui n'ont rien tant en horreur que de répandre le sang. Pour peu qu'ils examinassent la vie de ceux qu'ils accusent d'impiété, et pour peu qu'ils fissent de réflexions sur eux-mêmes, ils reconnaîtraient combien ils sont éloignés de la vérité et avec combien de justice ils mériteraient de souffrir le traitement qu'ils font aux autres. En effet, ce sont ces gens et leur religion, et non la nôtre, qui attendent les passants sur les grands chemins, qui courent les mers pour voler, qui, quand ils ne peuvent tuer à force ouverte, préparent des poisons. Ce sont et ces hommes et leur secte qui se défont de leurs femmes pour profiter de la dot qu'elles ont apportée, et ces femmes qui se défont de leurs maris pour épouser leurs amants. Ce sont eux qui étranglent leurs enfants, ou, s'ils n'ont pas assez de dureté pour les étrangler, qui les exposent. Ce sont eux que nul respect de la religion, ni de la nature ne détournent des incestes, et qui les commettent avec leurs filles, avec leurs sœurs, avec leurs mères et avec des personnes consacrées au culte de leurs dieux. Ce sont eux qui conjurent contre leur patrie, sans appréhender la rigueur des supplices décernés contre les traîtres. Ce sont eux qui profanent et pillent les temples des dieux qu'ils font profession d'adorer; et, pour parler de quelques autres crimes moins : atroces, ce sont eux qui supposent des testaments, qui enlèvent des successions, qui frustrent les héritiers légitimes, qui se prostituent aux plus infâmes débauches, qui souffrent ce que les femmes les plus perdues ont peine à souffrir, qui salissent par d'abominables ordures, la partie la plus honnête de leur corps, qui tranchent par le fer les témoignages de leur virilité, afin de pouvoir parvenir à l'honneur du sacerdoce, et qui vendent en quelque sorte leur propre vie. Que s'ils sont élevés aux dignités et qu'ils aient entre les mains ce pouvoir de juger des biens et de la vie de leurs citoyens, ils se laissent corrompre à prix d'argent pour condamner des innocents ou pour absoudre des coupables. Enfin ils portent leur insolence jusques au ciel, comme si la terre n'était pas capable de contenir le débordement de leurs crimes. Voilà jusqu'où monte l'insolence et la malignité de ceux qui font profession d'adorer les dieux. Quelle place la justice pourrait-elle trouver au milieu de tant de désordres? Je n'en ai choisi qu'un petit nombre que j'ai marqués de loin au lieu de les découvrir de près. Ceux qui désireront les connaître en détail, n'ont qu'à prendre entre les mains les livres de Sénèque, qui a apporté autant de fidélité à décrire les vices de son siècle que de force à les reprendre. Lucilius en a fait aussi une peinture fort exacte. En voici quelques traits :
Il y n'a point de jour auquel les sénateurs et le peuple ne s'occupent depuis le matin jusqu'au soir au même exercice, qui est de donner des paroles et de tâcher de surprendre ceux à qui ils parlent, d'user de dissimulation pour couvrir leurs pernicieuses intentions et de tendre des pièges comme si ils étaient tous les ennemis déclarés et implacables les uns des autres.
Que peut-on reprocher de semblable aux chrétiens, dont toute la religion consiste à mener une vie exempte de péché ? Quand les païens ont vu que ceux de leur secte commettaient les excès que je viens de toucher légèrement, et que les chrétiens, au contraire, ne faisaient rien qui ne fût parfaitement conforme à l'équité et à leur devoir, ils devaient reconnaître que la piété était de notre côté et l'impiété de l'autre. Comment ceux qui prennent le bon parti dans tous les points de leur conduite, prendraient-ils le mauvais au fait de la religion qui est le plus important de tous ? L'impiété du culte auquel ils seraient attachés se répandrait sur toute la suite de leurs actions. Il faut dire par la même raison, et pour parler conséquemment, que ceux qui se trompent dans tout le cours de leur vie, se trompent aussi au choix de la religion, parce que s'ils étaient dans la véritable, elle réformerait tous leurs défauts, et les rappellerait de leurs égarements. Ainsi la diversité de conduite que l’on tient dans les deux partis, fait voir clairement lequel est le meilleur.
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The Divine Institutes
Chap. IX.--Of the Crimes of the Wicked, and the Torture Inflicted on the Christians.
At times, however, they perceive that they are wicked, and praise the condition of the former ages, and conjecture that justice is absent because of their characters and deserts; for, though she presents herself to their eyes, they not only fail to receive or recognise her, but they even violently hate, and persecute, and endeavour to banish her. Let us suppose, in the meantime, that she whom we follow is not justice: how will they receive her whom they imagine to be the true justice, if she shall have come, when they torture and kill those whom they themselves confess to be imitators of the just, because they perform good and just actions; whereas, if they should put to death the wicked only, they would deserve to be unvisited by justice, who had no other reason for leaving the earth than the shedding of human blood? How much more so when they slay the righteous, and account the followers of justice themselves as enemies, yea, as more than enemies; who, though they eagerly seek their lives, and property, and children by sword and fire, yet are spared when conquered; and there is a place for clemency even amidst arms; or if they have determined to carry their cruelty to the utmost, nothing more is done towards them, except that they are put to death or led away to slavery! But this is unutterable which is done towards those who are ignorant of crime, and none are regarded as more guilty than those who are of all men innocent. Therefore most wicked men venture to make mention of justice, men who surpass wild beasts in ferocity, who lay waste the most gentle flock of God,--
"Like gaunt wolves rushing from their den,
Whom lawless hunger's sullen growl
Drives forth into the night to prowl." 1
But these have been maddened not by the fury of hunger, but of the heart; nor do they prowl in a black mist, but by open plundering; nor does the consciousness of their crimes ever recall them from profaning the sacred and holy name of justice with that mouth which, like the jaws of beasts, is wet with the blood of the innocent. What must we say is especially the cause of this excessive and persevering hatred?
"Does truth produce hatred," 2
as the poet says, as though inspired by the Divine Spirit, or are they ashamed to be bad in the presence of the just and good? Or is it rather from both causes? For the truth is always hateful on this account, because he who sins wishes to have free scope for sinning, and thinks that he cannot in any other way more securely enjoy the pleasure of his evil doings, than if there is no one whom his faults may displease. Therefore they endeavour entirely to exterminate and take them away as witnesses of their crimes and wickedness, and think them burthensome to themselves, as though their life were reproved. For why should any be unseasonably good, who, when the public morals are corrupted, should censure them by living well? Why should not all be equally wicked, rapacious, unchaste, adulterers, perjured, covetous, and fraudulent? Why should they not rather be taken out of the way, in whose presence they are ashamed to lead an evil life, who, though not by words, for they are silent, but by their very course of life, so unlike their own, assail and strike the forehead of sinners? For whoever disagrees with them appears to reprove them.
Nor is it greatly to be wondered at if these things are done towards men, since for the same cause the people who were placed in hope, 3 and not ignorant of God, rose up against God Himself; and the same necessity follows the righteous which attacked the Author of righteousness Himself. Therefore they harass and torment them with studied kinds of punishments, and think it little to kill those whom they hate, unless cruelty also mocks their bodies. But if any through fear of pain or death, or by their own perfidy, have deserted the heavenly oath, 4 and have consented to deadly sacrifices, these they praise and load 5 with honours, that by their example they may allure others. But upon those who have highly esteemed their faith, and have not denied that they are worshippers of God, they fall with all the strength of their butchery, as though they thirsted for blood; and they call them desperate, 6 because they by no means spare their body; as though anything could be more desperate, than to torture and tear in pieces him whom you know to be innocent. Thus no sense of shame remains among those from whom all kind feeling is absent, and they retort upon just men reproaches which are befitting to themselves. For they call them impious, being themselves forsooth pious, and shrinking from the shedding of human blood; whereas, if they would consider their own acts, and the acts of those whom they condemn as impious, they would now understand how false they are, and more deserving of all those things which they either say or do against the good. For they are not of our number, but of theirs who besiege the roads in arms, practice piracy by sea; or if it has not been in their power openly to assail, secretly mix poisons; who kill their wives that they may gain their dowries, or their husbands that they may marry adulterers; who either strangle the sons born from themselves, or if they are too pious, expose them; who restrain their incestuous passions neither from a daughter, nor sister, nor mother, nor priestess; who conspire against their own citizens and country; who do not fear the sack; 7 who, in fine, commit sacrilege, and despoil the temples of the gods whom they worship; and, to speak of things which are light and usually practised by them, who hunt for inheritances, forge wills, either remove or exclude the just heirs; who prostitute their own persons to lust; who, in short, unmindful of what they were born, contend with women in passivity; 8 who, in violation of all propriety, 9 pollute and dishonour the most sacred part of their body; who mutilate themselves, and that which is more impious, in order that they may be priests of religion; who do not even spare their own life, but sell their lives to be taken away in public; who, if they sit as judges, corrupted by a bribe, either destroy the innocent or set free the guilty without punishment; who grasp at the heaven itself by sorceries, as though the earth would not contain their wickedness. These crimes, I say, and more than these, are plainly committed by those who are worshippers of the gods.
Amidst these crimes of such number and magnitude, what place is there for justice? And I have collected a few only out of many, not for the purpose of censure, but to show their nature. Let those who shall wish to know all take in hand the books of Seneca, who was at the same time a most true describer and a most vehement accuser of the public morals and vices. But Lucilius also briefly and concisely described that dark life in these verses: "But now from morn to night, on festival and ordinary day alike, the whole people and the fathers with one accord display themselves in 10 the forum, and never depart from it. They have all given themselves to one and the same pursuit and art, that they may be able cautiously to deceive, to fight treacherously, to contend in flattery, each to pretend that he is a good man, to lie in wait, as if all were enemies to all." But which of these things can be laid to the charge of our people, 11 with whom the whole of religion consists in living without guilt and without spot? Since, therefore, they see that both they and their people do those things which we have said, but that ours practice nothing else but that which is just and good, they might, if they had any understanding, have perceived from this, both that they who do what is good are pious, and that they themselves who commit wicked actions are impious. For it is impossible that they who do not err in all the actions of their life, should err in the main point, that is, in religion, which is the chief of all things. For impiety, if taken up in that which is the most important, would follow through all the rest. And therefore 12 it is impossible that they who err in the whole of their life should not be deceived also in religion; inasmuch as piety, if it kept its rule in the chief point, would maintain its course in others. Thus it happens, that on either side the character of the main subject may be known from the state of the actions which are carried on.
-
Virg., Aen., ii. 355. ↩
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Ter., Andr., i. 1, 41. ↩
-
The Jewish people. Thus St. Paul speaks, Acts xxvi. 6: "I stand and am judged for the hope of the promise made of God unto our fathers." ↩
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i.e., the Christian religion. ↩
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Mactant. ↩
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Desperati, equivalent to para'boloi, a word borrowed from combats with wild beasts, and applied to Christians as being ready to devote their lives to the cause of God. ↩
-
There is an allusion to the punishment of parricides, who were enclosed in a bag with a dog, a serpent, an ape, and a cock, and thrown into the sea. ↩
-
Patientia, in a bad sense. [The text of the translator gives "endurance," for which I venture to substitute as above.] ↩
-
Contra fas omne. ↩
-
Induforo. "Indu" and "endo" are archaisms, used by Lucretius and other writers in the same sense as "in." ↩
-
i.e., Christians. [See vol. i. pp. [^86]26, 27.] ↩
-
Eoque fieri non potest. Others read "aeque fieri," etc. ↩