1.
Pourquoi l'apôtre saint Paul dit-il dans le même épître aux Romains: «Je souhaitais devenir moi-même anathème et d'être séparé de Jésus-Christ pour mes frères qui sont du même sang que moi selon la chair, qui sont les Israélites, à qui appartient l'adoption des enfants de Dieu, sa gloire, son alliance, sa loi, son culte et ses promesses; de qui les patriarches sont les pères, et desquels est sorti, selon la chair, Jésus-Christ même, qui est Dieu au-dessus de tout et béni dans tous les siècles? »
Il faut avouer que cette difficulté est fort grave; car saint Paul avait dit auparavant: « Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ ? Sera-ce l'affliction, ou les déplaisirs, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou le fer et la violence? » et derechef : « Je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, ni les Principautés, ni les choses présentes, ni les futures, ni la violence, ni tout ce qu'il y a de plus haut ou de plus profond, ni toute autre créature, ne pourra jamais nous séparer de l'amour que nous portons à Dieu en Jésus-Christ, notre Seigneur. » Comment donc cet apôtre peut-il dire maintenant, et même avec serment : «Jésus-Christ m’est témoin que je dis la vérité je ne mens point, ma conscience me rendant ce témoignage, par le Saint-Esprit que je suis saisi d'une tristesse profonde, et que mon coeur est pressé sans cesse d'une vive douleur, jusque-là que je souhaite de devenir moi-même anathème et d'être séparé de Jésus-Christ pour mes frères qui sont d'un même sang que moi selon la chair, etc. ; » car enfin s'il aime Dieu avec tant d'ardeur et de vivacité que ni la crainte de la mort , ni l'espérance de la vie, ni la persécution, ni la faim, ni la nudité, ni les périls, ni le fer et la violence ne sont capables de l'en séparer; et si les Anges, les Puissances, les choses présentes et futures, toutes les vertus des, cieux, ce qu'il y a de plus haut et de plus profond, en un mot toutes les créatures conjurées contre lui ( ce qui est impossible); si, dis-je, tout cela ne peut rompre les liens de la charité qui l'attachent à Dieu et à Jésus-Christ, pourquoi donc change-t-il tout à coup de sentiment, et quelles sont ses vues de vouloir, pour l'amour-même de Jésus-Christ renoncer à la possession de Jésus-Christ? Et de peur qu'on ne veuille pas l'en croire et ajouter foi à ses paroles, il les confirme par serment; il nous en assure au nom de Jésus-Christ même; et prenant le Saint-Esprit à témoin des sentiments de son coeur, il proteste qu'il est dans une tristesse, non pas superficielle et qui soit l'effet du hasard, mais incroyable et accablante, et que son cœur est saisi d'une douleur, on point passagère, mais qui ne lui donne aucun relâche et qui le tourmente sans cesse. Quel est donc le sujet de cette profonde tristesse, et de cette douleur continuelle dont il se sent pénétré? C'est qu'il souhaite d'être anathème, de se voir séparé de Jésus-Christ et de périr lui-même, afin de procurer par sa propre perte le salut des autres. Souvenons-nous ici de cette prière que Moïse faisait à Dieu pour obtenir la grâce du peuple et le pardon de sa révolte : « Je vous conjure, Seigneur, de leur pardonner cette faute, ou, si vous ne le faites pas, effacez-moi de votre livre que vous avez écrit; » et nous verrons que ce prophète et notre apôtre avaient l'un et l'autre la même affection et le même zèle pour le troupeau que Dieu avait confié à leurs soins. « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis, mais le mercenaire, voyant venir le loup, prend la fuite parce que les brebis ne lui appartiennent pas. » Dire: «Je souhaitais d'être anathème et séparé de Jésus-Christ, » c’est-à-dire «Effacez-moi du livre que vous avez écrit ; » car tous ceux qui sont effacés du livre des vivants et qui ne sont point écrits avec les justes sont anathèmes et séparés du Seigneur.