AVANT-PROPOS. A DEXTER, PRÉFET DU PRÉTOIRE.
Vous voulez, mon cher Dexter, qu'à l'imitation de Suétone je fasse un tableau des écrivains ecclésiastiques, et que je suive pour nos grands hommes le plan dont cet auteur s'est servi dans son énumération des littérateurs profanes; vous m'invitez, en d'autres termes, à vous faire connaître sommairement tous ceux qui ont publié quelque chose sur les saintes Ecritures, depuis la Passion de Jésus-Christ jusqu'à la quatorzième année du règne de Théodose.
Parmi les Grecs, Hermippus le péripatéticien, Antigone de Cacos, le docte Satyrus et Aristoxène le musicien, homme supérieur à eux tous par l'érudition, ont entrepris ce travail; parmi les Latins, il a été tenté par Varron, Sautra, Népos, Lyginus, et enfin par Suétone dont vous me proposez l'exemple. Mais je ne suis point placé dans les mêmes conditions qu'eux. En effet, ceux-ci pouvaient moissonner dans un vaste champ pour composer leur ouvrage ; et moi, que puis-je faire, privé de guides et n'ayant de maître que moi-même? Or suivant une sage maxime, le moi est le pire des maîtres. J'ai beau m'aider puissamment de l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe de Pamphilis, et trouver pour la plupart du temps l'âge des auteurs dont je veux parler attesté par leurs ouvrages eux-mêmes , tous ces secours sont insuffisants.
Il me reste donc à prier notre seigneur Jésus-Christ de me donner assez de force pour satisfaire votre demande, et pour pouvoir énumérer les écrivains de cette Eglise ; genre de travail que votre Cicéron, ce géant de l'éloquence romaine, n'a pas dédaigné en donnant dans son Brutus la liste des orateurs latins. Que si quelques-uns de ceux qui ont écrit jusqu'à nos jours se trouvent omis dans cet. opuscule , ils doivent s'en prendre à eux plutôt qu'à moi; car pour ce qui est des ouvrages inédits, je n'ai pu connaître ce que je n'avais pas lu. D'un autre côté, bien des choses, que d'autres ont peut-être connues, ne me sont point parvenues dans ce coin de terre. Quant aux écrivains qui ont acquis de la célébrité, ils ne s'infligeront pas à coup sûr du tort que leur cause mon silence. Je veux apprendre aux Celse, aux Porphyre, aux Julien , ces bêtes féroces acharnées contre Jésus-Christ ; je veux apprendre à leurs sectateurs, qui pensent que l’Eglise n'a eu ni savants, ni orateurs, ni philosophes, en quel nombre et quels étaient les hommes qui l'ont fondée, qui l'ont élevée, qui font embellie; je veux qu'ils cessent de taxer notre foi d'imbécillité grossière, et qu'ils reconnaissent leur ignorance à eux-mêmes. Le Seigneur vous tienne en sa sainte garde.