CHAPITRE I. De quelle sorte Dieu a voulu récompenser l'extrême humilité de sainte Paula en la rendant illustre par toute la terre. De son mariage et de ses enfants.
Commençons donc cette narration avec ordre. Que d'autres, reprenant les choses de plus haut et comme dès le berceau de sa race, disent s'ils veulent qu'elle eut pour mère Blésilla et pour père Rogat, dont l'une est descendue des Scipions et des Gracques, et l'autre, par les statues de ses ancêtres, par l'illustre suite de sa race et par ses grandes richesses, est encore aujourd'hui cru presque par toute la Grèce être descendu du roi Agamemnon, qui ruina Troie en suite d'un siège de dix ans; mais, quant à moi, je ne louerai que ce qui lui est propre, sorti d'une source aussi pure qu'était celle de son âme sainte.
Notre Sauveur et notre maître dit, dans l’Evangile, aux apôtres qui lui demandaient quelle serait leur récompense, que ceux qui donneraient tout pour l'amour de lui recevraient le centuple dès ce monde, et en l'autre la vie éternelle ; ce qui nous fait voir qu'on ne mérite point de louanges pour posséder des richesses, mais seulement lorsqu'on les méprise pour l'amour de Jésus-Christ, et qu'au lieu de s'enfler de vanité quand on est dans les honneurs, il faut témoigner la croyance que l'on a aux paroles de Dieu en n'en tenant aucun compte. Nous voyons cette parole de Jésus-Christ parfaitement accomplie en la personne de Paula, puisqu'il lui a rendu dès le temps présent ce qu'il a promis à ceux qui le servent : celle qui a méprisé la gloire d'une ville est aujourd'hui célèbre dans tout le monde par sa haute réputation, et celle qui, en demeurant à Rome, n'était hors de Rome connue de personne, depuis s'être cachée en Bethléem n'est pas seulement admirée par toutes les provinces de l'empire, mais par les nations même les plus barbares; car quel pays y a-t-il au monde d'où quelqu'un ne vienne pour visiter les lieux saints? et qui trouve-t-on, entre toutes les créatures, qu'on doive plus estimer que Paula? Ne brille-t-elle pas comme une pierre précieuse entre plusieurs autres, dont elle efface le lustre, et comme un soleil qui dès son lever obscurcit par l'éclat de ses rayons toute la splendeur des étoiles ? Ainsi elle surmonta par son humilité la vertu et la puissance de tous les autres, et, en se rendant la moindre de tous, elle se trouva de beaucoup élevée sur tout le reste, parce que plus elle s'abaissait, et plus Jésus-Christ la faisait paraître. Elle se cachait et ne pouvait être cachée; elle fuyait la gloire et l'acquérait en la fuyant, parce que la gloire suit la vertu, son ombre, et qu'en méprisant ceux qui la cherchent elle cherche ceux qui la méprisent. Mais pourquoi quitté-je l'ordre de ma narration, et puissé-je par-dessus les préceptes de la rhétorique en m'arrêtant ainsi trop longtemps à chaque chose?
Etant descendue d'une telle race, elle fut mariée à Toxotius, qui tire sa haute origine d'Enée et des Jules ; ce qui est cause que sa fille Eustochia,cette vierge consacrée à Jésus-Christ, porte le nom de Julie, et ce nom de Jules vient du grand Jules, fils d'Enée ; ce que je rapporte ici, non que ces hautes qualités soient fort considérables en ceux qui les possèdent, mais parce qu'on ne saurait trop les admirer en ceux qui en font pou de compte. Les hommes attachés au siècle révèrent les personnes si élevées au-dessus des autres par leur naissance, mais quant à moi, je ne saurais louer que ceux qui foulent aux pieds cette grandeur par l'amour qu'ils portent à Jésus-Christ; et d'autre côté, je ne saurais trop estimer en eux, lorsqu'ils les méprisent, ces avantages que je méprise lorsqu'ils les estiment.
Paula ayant donc pour ancêtres ceux dont je viens de parler, ci sa fécondité aussi bien que sa chasteté l'ayant l'ait estimer, premièrement par son mari, et puis par ses proches, et enfin par toute la ville de Rome, elle eut cinq enfants : Blésilla, sur la mort de laquelle je lui écrivis pour la consoler; Pauline, qui laissa pour héritier de ses biens et de ses excellentes résolutions son saint et admirable mari Pammaque, auquel j'ai adressé un petit discours sur le sujet de sa perte; Eustochia, qui demeure encore aujourd'hui dans les lieux saints, et est, par sa virginité et par sa vertu une perle précieuse et un ornement de l'Eglise; Rufina, qui par sa mort précipitée accabla de douleur l'âme si tendre de sa mère ; et Toxotius, après la naissance duquel elle cessa d'avoir des enfants, ce qui témoigna qu'elle n'en avait désiré que pour plaire à son mari, qui souhaitait avec passion d'avoir un fils.