CHAPITRE II. L'admirable vertu de sainte Marcella la mit au-dessus de la médisance.
Il est fort difficile dans une ville aussi médisante que Il orne, dont. le peuple était autrefois composé de toutes les nations du monde et où les vices triomphent, de ne recevoir pas quelque attaque par les impostures des bruits malicieux inventés et semés par ces personnes qui prennent plaisir à blâmer les choses les plus innocentes et la vouloir découvrir des taches en celles qui sont les plus pures; ce qui fait que le prophète souhaite plutôt qu'il n'estime qu'on puisse trouver une chose aussi difficile et presque aussi impossible à rencontrer qu'est celle-ci, lorsqu'il dit : « Bienheureux sont ceux qui marchent dans la voie du Seigneur, et qui ne rencontrent rien en leur chemin qui leur puisse imprimer la moindre tache! » Il dit que ceux-là sont sans tache dans la voie de ce siècle qui n'ont point été infectés de l'air de ces bruits malicieux, et à qui l'on n'a point fait d'injure. Notre Sauveur dit dans l'Évangile : « Ayez une opinion favorable de votre adversaire lorsque vous êtes en chemin avec lui.» Or, qui a jamais entendu publier quelque chose de désavantageux de la personne dont je parle et y a ajouté créance? ou qui est celui qui l'a cru sans s'accuser lui-même de malice et de lâcheté? Marcella a été la première qui a confondu le paganisme en faisant voir à tout le monde quelle doit être cette vertu d'une veuve chrétienne qu'elle portait dans le coeur, et qui paraissait en ses habits ; car les veuves païennes ont coutume de se peindre le visage de blanc et de rouge, d'être très richement vêtues, d'éclater de pierreries, de tresser leurs cheveux avec de l'or, de porter à leurs oreilles des perles sans prix, d'être parfumées, et de pleurer de telle sorte la mort de leurs maris qu'elles ne peuvent ensuite cacher leur joie d'être affranchies de leur domination, ainsi qu'il parait lorsqu'on les voit en chercher d'autres, non pas pour leur être assujetties comme Dieu l'ordonne., mais au contraire pour leur commander; ce qui fait qu'elles en choisissent de pauvres, afin que, portant seulement le nom de maris, ils souffrent avec patience d'avoir des rivaux, et soient aussitôt répudiés s'ils osent seulement ouvrir la bouche pour s'en plaindre. La sainte veuve dont je parle portait des robes pour se défendre seulement du froid, et non pas pour montrer seulement à découvert une partie de son corps; elle ne garda rien qui fût d'or, non pas même son cachet, aimant mieux employer toutes ces superfluités à nourrir les pauvres que de les enfermer dans ses coffres; elle n'allait jamais sans sa mère. Les diverses rencontres d'une aussi grande maison qu'était la sienne y faisant quelquefois venir des ecclésiastiques et des solitaires, elle ne les voyait qu'en compagnie, et elle avait toujours avec elfe des vierges et des veuves de grande vertu, sachant qu'on juge souvent des maîtresses par l'humeur trop libre des filles qui sont à elles, et que chacun se plait en la compagnie des personnes qui lui ressemblent.