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Il était alors à Paris, petite ville de Germanie. Comme les soldats soupaient un soir aux environs du palais, et qu’ils s’attendaient à partir le jour suivant, sans se défier de ce qu’on tramait contre Julien, quelques officiers qui avaient découvert cette intrigue qu’on conduisait depuis longtemps, répandirent secrètement deux billets sans nom qui portaient que Julien, qui les avait rendus victorieux par son adresse, et qui avait combattu en soldat, était en danger d’être dépouillé de toutes ses forces, s’ils ne s’opposaient au départ des troupes qui avaient été mandées. Quelques soldats ayant lu ces billets, et les ayant montré à leurs compagnons, ils entrèrent tous en colère, et s’étant levés de table en désordre, ils coururent au palais, ayant encore le verre en main, en rompirent les portes, enlevèrent Julien, l’élevèrent sur un bouclier, le proclamèrent empereur, et lui mirent par force la couronne sur la tête. Julien était très fâché de ce qui était arrivé. Mais la connaissance qu’il avait de l’infidélité de Constance, qui ne gardait ni parole, ni foi, ni serment, l’empêchait de se fier à lui. Il voulut pourtant sonder sa disposition, et lui envoya des ambassadeurs, qui lui protestèrent de sa part que c’était contre son avis et contre son intention qu’on l’avait proclamé, et qu’il était prêt à se démettre de la couronne, s’il le désirait, et de se contenter de la dignité de césar. Mais, Constance entra dans une extrême colère, et monta en même temps à un si haut point d’insolence, qu’il dit aux ambassadeurs que si Julien voulait conserver sa vie, il fallait qu’il renonçât à la dignité de césar aussi bien qu’à la couronne, et que, redevenant particulier, il se soumit à sa puissance; qu’en s’y soumettant, il ne souffrirait rien de fâcheux, ni d’approchant de ce qu’il avait mérité. Julien ayant appris ce discours de Constance, fit voir l’opinion qu’il avait des dieux, en déclarant publiquement qu’il aimait mieux mettre sa vie entre leurs mains qu’entre celles de l’empereur. Celui-ci fit éclater ouvertement sa haine, et se prépara à la guerre civile. Parmi tout ce qui était arrivé, rien ne fâchait tant Julien que l’appréhension d’être accusé d’ingratitude envers un prince qui l’avait honoré de la dignité de césar. Pendant qu’il roulait ces pensées dans son esprit, et qu’il avait peine d’entreprendre une guerre civile, les dieux lui révélèrent en songe ce qui devait arriver, en lui faisant voir à Vienne, où il était alors, le soleil qui lui montrait les autres astres, et qui lui disait ces vers:
Quand Jupiter erra dessous le verseur d’eau,
Et que, sous la vierge sera le vieux Saturne,
Que chacun reconnaît d’une humeur taciturne,
Tout aussitôt Constance entrera au tombeau.
Se fiant à ce songe, il continua à prendre soin, selon sa coutume, des affaires publiques; et parce que l’hiver durait encore, il s’appliqua principalement à pourvoir aux nécessités des Gaules, afin de se pouvoir donner tout entier à la poursuite des entreprises où il serait engagé.
Il se prépara de bonne heure à prévenir Constance qui était encore en Orient,
