29.
Stilicon reçut nouvelle qu’Alaric était parti de l’Epire, et qu’ayant passé les détroits qui séparent la Pannonie de la Vénétie, il s’était campé à Emone, ville assise entre la Haute-Pannonie et la Noricie. Je n’oublierai pas en cet endroit l’histoire de la fondation de cette ville. On dit que lorsque les Argonautes furent poursuivis par Aétès, ils arrivèrent à l’embouchure du Danube, et qu’ayant taché de monter à force de rames et à la faveux du vent contre le courant de ce fleuve, quand ils furent arrivés à ce lien-là, ils y bâtirent la ville, pour servir de monument de leur arrivée dans le pays; qu’ayant mis leur vaisseau nommé Argo sur une machine, et que l’ayant tiré jusqu’à la mer l’espace de quatre cents stades, ils abordèrent aux rivages de Thessalie. Voilà ce que le poète Pisandre en a écrit dans le poème des Noces héroïques.
Alaric étant parti d’Emone, et ayant passé le fleuve Acilis et monté l’Apennin, il entra dans la Noricie. Cette montagne sert de frontière à la Pannonie, et n’a qu’un passage fort étroit pour aller dans la Noricie, lequel une poignée d’hommes peuvent aisément garder contre une grande multitude. Alaric l’ayant néanmoins surmonté, envoya de la Noricie des ambassadeurs à Stilicon, pour lui demander de l’argent en récompense, tant de ce qu’il était demeuré dans l’Epire à sa persuasion, que de ce qu’il avait fait le voyage de la Noricie et d’Italie. Stilicon ayant laissé les ambassadeurs à Ravenne, alla à Rome pour conférer avec l’empereur et avec le sénat. Les sénateurs s’étant assemblés dans le palais, on délibéra si l’on ferait la guerre ou non. La pluralité des avis fut de la faire. Stilicon et quelques autres qui ne parlaient que par complaisance pour lui, furent d’avis de faire la paix avec Alaric. Ceux qui étaient d’avis de la guerre demandèrent à Stilicon pourquoi il voulait faire une paix honteuse. Il répondit que c’était parce qu’Alaric était demeuré longtemps dans l’Epire, pour l’intérêt de l’empereur, afin de faire la guerre conjointement avec lui en Orient et de soumettre l’Illyrie à l’obéissance d’Honorius, ce qui aurait été exécuté si la lettre de ce prince ne les eût empêchés d’entreprendre l’expédition. Il montra la lettre d’Honorius pour confirmer ce qu’il disait, et ajouta que Sérène, sous prétexte d’entretenir la bonne intelligence entre les deux empereurs, avait été cause qu’un si louable projet n’avait pu réussir.
Les raisons de Stilicon ayant été approuvées, le sénat fut d’avis de payer à Alaric quatre mille livres d’or pour avoir la paix avec lui, bien que plusieurs opinassent de la sorte par crainte plutôt que par persuasion.
Lampadius, aussi illustre par sa dignité que par sa naissance, dit en sa langue: « Ce n’est pas là une paix, c’est un pacte par lequel on se soumet à la servitude. » Mais dès que l’assemblée se fut levée, il se réfugia dans une église de chrétiens qui était proche, de peur que la liberté dont il avait usé ne lui fût funeste.