XLVI.
Tu reconnaîtras que l'Apôtre s'exprime partout de manière à paraître condamner la chair elle-même, en condamnant les œuvres de la chair. Mais qu'on ne s'imagine pas qu'il établisse ce sentiment, même dans les passages qui sembleraient s'en rapprocher. En effet, quand il dit: « Ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu, » il nous rappelle de l'interprétation vicieuse au sens véritable, en disant: « Pour vous, vous n'êtes point dans la chair, mais dans l'esprit. » Nier que ceux-là fussent dans la chair, qui certainement s'y trouvaient encore, c'était nous montrer qu'ils n'étaient pas dans les œuvres de la chair. De plus, c'était faire voir qu'on ne peut plaire à Dieu, non pas quand on est dans la chair, mais quand on vit selon la chair; mais qu'on plaisait à Dieu quand « placé dans la chair, on marchait selon l'esprit. » Et ailleurs: « C'est le corps, dit-il, qui est mort à cause » du péché; mais l'esprit est vivant à cause de la justice. » Puisqu'il oppose la vie à la mort qui règne dans la chair, indubitablement il promet la vie de la justice là où il établit la mort du péché. Au reste, vainement a-t-il opposé la vie à la mort, si elle ne se rencontre là où se trouve celle à qui il l'a opposée, pour la chasser du corps. Si la vie chasse du corps la mort, elle ne peut le faire qu'en pénétrant là où se trouve ce qu'elle chasse.
Mais pourquoi tant d'efforts, quand l'Apôtre dit en termes explicites: « Si donc l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de son esprit qui habite en vous? » Par là, si quelqu'un s'imagine que par ce corps mortel il faut entendre l'ame, comme il ne peut nier que ce corps ne soit la chair, il est conlraint de reconnaître également la résurrection de la chair, en vertu de la communauté des substances. |508 Apprends encore par ce qui suit que ce n'est pas la chair, mais les œuvres de la chair, que l'Apôtre condamne. « Ainsi, mes frères, dit-il, nous ne sommes point redevables à la chair, pour vivre selon la chair. Que si vous vivez selon la chair, vous mourrez; mais si vous faites mourir par l'esprit les actes de la chair, vous vivrez. » Or, pour répondre à chaque difficulté, si le salut est promis à ceux qui, quoique dans la chair, vivent néanmoins selon l'esprit, dès lors ce n'est plus la chair qui est un obstacle au salut, mais l'opération de la chair. Bannissez l'opération de la chair qui est la cause de la mort, aussitôt la chair est sauvée, n'ayant plus en elle de cause de mort. « Parce que la loi de l'Esprit, dit-il, m'a affranchi de la loi du péché et de la mort, » de cette même mort certainement dont il a dit tout à l'heure, « qu'elle habite dans nos membres. » Donc nos membres ne seront plus asservis à la loi de la mort, parce qu'ils ne sont plus asservis à la loi du péché, affranchis de l'une et de l'autre. « Car, ce qu'il était impossible que la loi fît, la chair la rendant faible et impuissante, Dieu l'a fait lorsqu'ayant envoyé son propre Fils revêtu d'une chair semblable à celle du péché et victime pour le péché, il a condamné le péché dans la chair, » et non par la chair dans le péché. La maison, en effet, ne sera pas condamnée avec son habitant. L'Apôtre ayant dit que « le péché résidait dans notre corps, » la condamnation du péché devient l'absolution de la chair, de même que l'absolution du péché asservit la chair à la loi de la mort et du péché. C'est encore dans ce sens que l'Apôtre « appelle du nom de mort et d'ennemi de Dieu l'amour des choses de la chair, » niais non la chair elle-même.
---- Mais à quoi donc, diras-tu, faudra-t-il imputer l'amour des choses de la chair, sinon à la chair elle-même?
---- Je te l'accorde, si tu me prouves que la chair a de son propre fonds quelque discernement. Mais si elle n'en. a aucun sans l'âme, comprends donc qu'il faut rapporter |509 à l'ame l'amour des choses de la chair, attribué à la chair elle-même, parce que l'âme est servie par la chair. Voilà pourquoi l'Apôtre dit « que le péché habite dans la chair, » parce que l'âme qui provoque au péché demeure comme un hôte étranger, dans cette chair condamnée à mourir, il est vrai, non pas à cause d'elle-même, mais à cause du péché. Il dit encore ailleurs: « Pourquoi vous faites-vous des lois des éléments de ce monde, comme si vous viviez encore dans ce monde? » Il écrivait non pas à des morts, mais à des hommes qui devaient cesser de vivre suivant le monde.