VI.
Mais je poursuis mon but, sans pouvoir toutefois donner à la chair autant que lui donna celui qui l'a faite, déjà toute glorieuse dès-lors que le limon, ce rien, fut manié par les mains de Dieu, quelles qu'elles soient. Certes, il eût été suffisamment heureux, n'eût-il été que louché. Quoi donc? Dieu ne pouvait-il pas créer l'homme d'un simple contact sans rien de plus? Tant il est vrai qu'il se préparait quelque grande merveille, puisqu'il travaillait cette matière avec tant de soin! En effet, autant de fois cette chair sent l'impression des mains divines, touchée, pétrie, élaborée par elles, autant de fois elle grandit en honneur. Figure-toi Dieu occupé tout entier à cette création! Main, esprit, action, sagesse, providence, amour surtout, il y emploie tout son être. C'est qu'à traversée limon grossier il entrevoyait son Christ, qui un jour serait homme, comme ce limon; Verbe fait chair, comme cette terre alors. Le Père commence par s'adresser ainsi à son Fils: « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Et Dieu fit l'homme, » c'est-à-dire ce qu'il forma; « et il le fit à l'image de Dieu, » c'est-à-dire de Jésus-Christ. Car le Verbe est Dieu. Image de son Père, il n'a point cru que s'égaler à Dieu fût de sa part une usurpation. » Par conséquent, ce limon, qui revêtait dès-lors l'image de Jésus-Christ dans sa vie future, n'était pas seulement l'œuvre, mais le gage d'un Dieu. Pourquoi donc, afin de décrier la chair, nous jeter le mot de terre comme d'un élément grossier et méprisable, puisque, toute autre |444 matière eût-elle convenu pour la formation de l'homme, il ne faudrait pas perdre de vue la dignité de l'artisan qui, en l'adoptant, l'a jugée digne, et l'aurait rendue telle, rien qu'en la maniant? On adore les mains de Phidias qui construisirent un Jupiter olympien d'ivoire; ce n'est plus un dieu tiré d'un épais et stupide animal; c'est la grande divinité du monde: on oublie la matière pour ne voir que le grand Phidias. Et le Dieu vivant, le Dieu véritable, n'aurait pas purgé de ses souillures ou guéri de tout ce qu'elle a d'infirme, une matière, si abjecte qu'on la suppose! Restera-t-il à dire que l'homme a pu former un Dieu avec plus de perfection qu'un Dieu n'a pu former l'homme?
Eh bien! si ce limon te scandalise, la forme est changée. Je tiens dans ces mains de la chair et non de la terre. Quoique la chair s'entende dire: « Tu es terre, et tu retourneras dans la terre, » cet oracle rappelle l'origine, mais ne détruit pas la substance. Il lui a été donné d'être quelque chose de plus noble que son origine, et de croître en dignité par sa transformation. Ainsi, l'or est de la terre, parce qu'il vient de la terre. Toutefois, il n'est terre que jusque-là. Depuis qu'il est or, matière toute différente, il brille d'éclat et de noblesse, quoique d'origine obscure. De même, Dieu a pu délivrer des souillures du limon, selon toi, l'or de notre chair, en anoblissant son berceau.