XX.
Si leur absurde théologie se bornait à dire que les dieux ont été créés et sortent de l'eau, après avoir démontré que tout ce qui a reçu l'être est sujet à le perdre, j'arriverais aux accusations qui me restent encore à repousser. Mais voyez jusqu'où ils portent l'extravagance : tantôt ils donnent à leurs dieux des formes et des figures étranges, témoins le dieu Hercule, qu'ils représentent comme un dragon se repliant sur lui-même, et ces géants auxquels ils donnent cent bras; témoin encore la fille que Jupiter eut de Rhéa ou Cérès, et qui avait, outre les yeux naturels, deux autres yeux sur le front, une espèce de bec derrière le cou, et des cornes sur la tête, en sorte que Rhéa, sa mère, épouvantée de ce petit monstre, s'enfuit et ne lui présenta point sa mamelle; c'est pourquoi elle est appelée mystérieusement Athela, c'est-à-dire qui n'a point été allaitée, et communément Proserpine et Coré, distincte cependant de Minerve, appelée aussi Coré, à cause de la prunelle de ses yeux. Tantôt ils décrivent pompeusement ce qu'ils appellent leurs hauts faits : ceux de Saturne, par exemple, qui mutila son père, le renversa de son char, et se souilla de parricide, en dévorant ses enfants mâles ; ceux de Jupiter, qui précipita dans le Tartare son père chargé de fers, comme Uranus avait précipité ses enfants. Ils racontent de quelle manière il combattit pour l'empire contre les Titans, et poursuivit Rhéa, sa mère, qui avait horreur de s'unir à son fils; comment celle-ci, ayant pris la forme de la femelle du dragon, il se changea lui-même en dragon tout aussitôt, et s'unit avec elle an moyen d'un nœud appelé nœud d'Hercule, dont l'image se voit encore dans le caducée de Mercure ; comment ensuite, ayant aussi violé sa fille Proserpine, sous la même forme de dragon, il en eut un fils appelé Denys ou Bacchus. Quand vos poètes soutiennent de telles absurdités, ne suis-je pas en droit de leur adresser ces paroles ? Qu'a donc une pareille histoire d'utile, d'honorable, pour nous faire croire à la di- vinité de Saturne, de Jupiter, de Coré et de vos autres dieux? Seraient-ce les formes qu'elle donne à leurs corps ? Mais, je vous le demande, quel homme de bon sens, ou habitué à réfléchir, pourrait croire qu'un dieu ait engendré une vipère, comme le prétend Orphée?
« Phanes, dit-il, engendra de son flanc sacré un autre monstre, une vipère horrible à voir; sa tête était couverte de cheveux, sa figure d'une rare beauté, le reste du corps, depuis le haut du cou, représentait un dragon terrible. »
Qui se laissera persuader que ce même Phanes soit le premier-né des dieux ( car c'est lui qui le premier s'échappa de l'oeuf ) ; qu'il ait eu la forme et le corps d'un dragon, et que Jupiter, pour échapper à sa poursuite, l'ait dévoré? Si ces dieux ne diffèrent en rien des bêtes les plus viles, il est bien évident qu'ils ne sont point des dieux, il existe une grande différence entre les choses matérielles et la nature divine. Pourquoi donc aller offrir nos hommages à des dieux qui ne sont pas nés autrement que les bêtes, qui ont une figure, une forme monstrueuse !