XXII.
Mais, dira-t-on peut-être, ce sont là des fictions qui peuvent s'expliquer d'une manière allégorique, comme nous l'apprend Empédocle :
« Jupiter, dit-il, représente l'agilité du feu ; Junon et Platon, le principe vital, et les larmes de Nestis, l'eau des sources. »
Je veux bien que Jupiter soit le feu, Junon la terre, Pluton l'air, et Nestis l'eau ; tout cela constitue des éléments, mais ne fait pas des dieux : je n'admettrai donc comme Divinité ni Jupiter, ni Junon, ni Pluton; car ils tirent leur être, leur existence, de la matière que Dieu lui-même a divisée:
« Le feu, l'eau, la terre, et l'air si bienfaisant, voilâtes éléments, il est un principe qui les rend amis et les unit »
Cette union leur est si nécessaire, qu'il suffirait d'un moment de désaccord pour les détruire et les confondre. Comment donc oser dire que ce sont là des dieux? L'affinité commande, selon Empédocle, les éléments unis obéissent Or, ce qui commande à l'empire d'attribuer la même vertu et la même puissance à l'être qui commande et à celui qui obéit, c'est égaler, au mépris du bon sens, la matière changeante, périssable et corruptible, à Dieu, être incréé, éternel, et toujours semblable à lui-même.
Les stoïciens prétendent que Jupiter est le feu, Junon l'air, comme l'indique son nom, si on l'ajoute à lui-même, et Neptune l'eau. Il en est d'autres cependant qui interprètent différemment les noms de ces dieux; car les uns regardent Jupiter comme l'air, qui de sa nature est mâle et femelle tout à la fois; d'autres veulent qu'il soit cette saison de l'année qui ramone la sérénité ; ils expliquent par là comment il échappa seul à la voracité de Saturne. Quant aux stoïciens, on peut argumenter ainsi avec eux : si vous reconnaissez un seul Dieu suprême, éternel, incréé ; si vous dites qu'il existe autant de corps différents que la matière peut subir de changements, et que l'esprit de Dieu qui s'insinue dans la matière reçoit divers noms selon les divers changements qu'elle peut subir, il s'ensuit que chaque forme différente qu'elle aura revêtue sera le corps de Dieu. Or, puisque vous croyez que les éléments seront un jour consumés par le feu, il faudra aussi nécessairement que les noms donnés à ces diverses formes de matières périssent avec elles, et que l'esprit de Dieu survive seul. Peut-on regarder comme des dieux de pareils êtres qui sont, ainsi que la matière, sujets au changement et à la corruption? Et contre ceux qui prétendent que Saturne est le temps, et Rhéa, la terre ; que celle-ci enfante et conçoit de Saturne, ce qui la fait regarder comme la mère commune, tandis que son époux engendre et dévore les enfants qu'il a engendrés; que la mutilation de ce dernier ne signifie autre chose que l'union de l'homme avec la femme, par laquelle la semence, comme détachée du corps de l'homme, passe dans le sein de la femme et y produit un homme auquel s'attache l'amour du plaisir, c'est-à-dire Vénus; que la fureur de Saturne contre ses enfants représente la succession du temps qui altère la constitution des êtres, soit animés, soit inanimés ; et que ses fers et le Tartare sont le temps lui-même qui change et s'évanouit avec les saisons ; contre ceux-là, dis-je, nous raisonnons de cette manière : si Saturne est le temps, il est inconstant; s'il n'est qu'une saison, il est aussi variable; s'il est ténèbres, froid rigoureux, ou nature humide, tout cela passe; tandis que Dieu est immortel, immuable, immobile. D'où je conclus que Saturne ni sa statue ne sont point dieu. Il en est de même de Jupiter ; s'il est l'air engendré de Saturne, dont la partie mâle s'appelle Jupiter, et la partie femelle Junon (ce qui la fait regarder comme sa sœur et son épouse ), il est nécessairement sujet au changement; s'il est saison, il est variable. Or, Dieu ni ne change ni ne varie.
Mais à quoi bon vous fatiguer de plus longs détails, ne connaissez-vous pas mieux que moi tout ce qu'ont dit ces philosophes pour tout expliquer d'une manière allégorique, quels sont leurs sentiments sur la nature ou sur Minerve, qu'ils disent un esprit répandu partout; ou sur Isis, qui, selon eux, désigne la nature du temps, de laquelle tout est sorti, et par qui tout existe, ou sur Osiris, qui fut tué par Typhon, son frère, et dont Isis recueillit les membres, auxquels elle éleva un tombeau qu'on appelle encore le tombeau d'Osiris; ce qu'ils pensent enfin d'Orus, son fils ? Car tandis qu'ils s'agitent en tous sens pour trouver des analogies avec la matière, ils s'éloignent du Dieu que l'esprit seul peut connaître, et alors ils sont contraints de déifier les éléments et leurs parties, donnant à chacune d'elles un nom différent ; ainsi ils appellent Osiris l'action de semer le blé (c'est pourquoi dans les mystères de ce dieu, parce que ses membres furent retrouvés, et qu'il apprit l'art de cultiver la terre, on crie, dit-on, à Isis : Nous l'avons trouvé, nous nous félicitons ) ; ils appellent le fruit de la vigne, Bacchus; la vigne elle-même, Sémélé; la chaleur du soleil, foudre. Or, je vous le demande, est-ce expliquer la nature divine, que de faire des dieux de tout ce qu'ils ont rêvé, et ne voient-ils pas que ce qu'ils allèguent pour la défense de leurs dieux ne fait que confirmer ce qu'on en dit ? Qu'est-ce qu'Europe et le taureau, le cygne et Léda, ont de commun avec l'air et la terre, pour supposer cette union criminelle de Jupiter avec les créatures, ou bien l'union de ces deux éléments? Ils n'ont donc aucune idée de la grandeur de Dieu. Et comme leur raison seule ne peut les élever jusqu'à lui, ils ne trouvent rien qui les mette en rapport avec le Ciel ; ils se consument en vain sur la matière : uniquement attachés à la terre, ils font des dieux de toutes les formes que prennent les éléments; ils agissent comme celui qui prendrait le navire qui le porte pour le pilote lui-même. Or, comme il est certain qu'un vaisseau, quand même il serait muni de tout ce qui lui est nécessaire, devient cependant inutile, s'il n'a un pilote pour le conduire, ainsi les éléments, quel que soit leur ordre et leur disposition, deviennent inutiles sans la providence de Dieu. Car le vaisseau ne naviguera point de lui-même, et les éléments ne pourront se mouvoir sans une main qui leur imprime le mouvement.