10.
Quant à la terre, en une journée le tour en est fait. Son poids, sa mesure, sa forme, sont soumis à mes calculs ; et je m'assure que, sur cette masse immense, il n'y a pas erreur de la largeur de la main. C'est peu encore (ô puissance de mon génie !), je sais le nombre des étoiles, des poissons, des animaux de tout genre, de toute espèce, de toute famille. Enfin, je jette ce monde dans ma balance, et je vois d'un clin d'œil combien il pèse. Grâce à ces travaux de Titan, mon âme aspire à dominer la nature.
Mais le fils de Néoclès m'avisant : « Eh ! l'ami, tu n'as encore mesuré qu'un seul monde : bagatelle! il y en a des myriades, et de bien plus étendus. » — Me voilà donc obligé d'aller étudier une multitude de cieux, et de nouvelles plaines éthérées. Hâte-toi, me dis-je, prends des provisions pour plusieurs jours ; et en avant à travers les sphères d'Epicure !
D'un élan je m'envole par delà les limites de Téthys et de l'Océan. Arrivé dans un monde nouveau comme dans une capitale étrangère, j'ai tout mesuré en peu d'heures. De là je passe dans un troisième monde, dans un dixième, dans un millième... Mais, ô profondeur infinie ! où donc m'arrêter?
Je le vois enfin, tout n'est que ténèbres, nuit trompeuse, perpétuelle illusion, abîme d'ignorance ! Encore, pour ne rien négliger en fouillant ainsi les mondes, faudrait-il compter jusqu'aux atomes qui leur ont donné naissance : labeur éminemment indispensable, sur lequel repose le bonheur des familles et des empires !
Philosophes, c'est à vous que je présente cette esquisse de vos contradictions. Voyez comme l'objet de votre ardente poursuite fuit devant vous d'une fuite éternelle;1 combien la fin que vous vous proposez est inexplicable et vaine, n'ayant pour point d'appui ni l'évidence, ni le raisonnement!
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Il m'a semblé que, par cette belle expression, que j'ose lui emprunter, Pascal avait traduit d'avance. ↩