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Works Basil of Caesarea (330-379) Epistulae Lettres choisies de S. Basile-le-Grand

A MARTINIEN. LXXIV—CCCLXXIX.

Martinien était un homme d'un grand mérite, et avait du crédit auprès du prince : saint Basile lui fait une vive peinture des malheurs affreux où les persécutions des Ariens avaient jeté la ville de Césarée; il le conjure de mettre ses maux sous les yeux de l'empereur , et d'intercéder pour elle auprès de lui.

QUE ne donnerais-je pas pour que nous mussions nous joindre, pour que j'eusse le bonheur de vous entretenir quelque temps ! Si c'est un grand témoignage de doctrine d avoir vu les villes et d'avoir connu les moeurs de beaucoup de peuples, je crois que votre commerce pourrait procurer cet avantage à peu de frais. Lequel est préférable de voir en détail beaucoup d hommes, ou d'entretenir un seul homme qui sait tout ce que les autres savent? Pour moi, je préfèrerais le dernier, d'autant plus qu'alors on parvient sans peine à connaître tout ce qu'il y a de bon, et qu'on apprend la vertu sans le mélange d'aucun mal. Alcinoüs désirait d’être une année à écouter Ulysse; moi, je voudrais employer toute ma vie à vous entendre , et je souhaiterais qu'elle me fût prolongée, quoique je ne la trouve pas fort agréable.

Pourquoi donc ne fais-je que vous écrire, lorsque je devrais me transporter auprès de vous c'est que notre patrie, dans le plus déplorable état, m'appelle à son secours. Vous n'ignorez pas tout ce qu'elle a souffert, vous savez que de vraies Ménades l'ont mise en pièces comme Penthée1.

Elle est coupée et déchirée par des médecins malhabiles, dont l'ignorance aggrave le mal et envenime les plaies. Puis donc qu'elle est démembrée et fort malade , il faut lui apporter tous les remèdes que nous pourrons. Les citoyens ont envoyé vers moi et me pressent ; il faut que je me rende à leurs désirs. Ce n'est pas que je me flatte de leur être utile , mais je veux éviter le reproche de les abandonner. Les malheureux , vous le savez, sont aussi prompts à espérer que prêts à se plaindre, s'en prenant toujours à ce qu'on a oublié de faire. C'est pour cela même que j’aurais dû vous joindre , et vous conseiller, ou plutôt vous conjurer, de prendre un parti généreux et digne de vos sentiments , de ne point dédaigner notre ville qui se prosterne à vos genoux , mais de vous rendre à la cour , d'y parler avec votre liberté accoutumée, de leur faire comprendre qu'ils se trompent s'ils prétendent avoir deux provinces pour une. Non, ils n'en ont point introduit une seconde , transportée de quelque pays éloigné ; mais ils ont fait à-peu-près comme celui qui ayant un boeuf ou un cheval , croirait en avoir deux après l'avoir coupé par la moitié: il n'en aurait point deux , mais il aurait détruit le seul qu'il avoir. Vous ferez entendre à ceux qui gouvernent sous le prince , que ce n'est pas là fortifier l'empire, que la puissance ne se mesure point par le nombre, nais par les forces réelles.

Au reste , les désordres que nous voyons arrivent , si je ne me trompe, de ce que d'autres n'osent parler de peur d offenser personne, de ce que d'autres enfin laissent aller les choses parce qu'ils ne s'en embarrassent guère. Le meilleur parti , ce serait d'aller vous-même trouver l'empereur sil était possible; c'est ce qu'il y aurait de plus utile aux affaires et de plus conforme à vos principes. Si la saison , et votre âge qui , comme vous dites , a pour compagne la paresse , ne vous le permettent point , quelle peine auriez-vous à écrire ? Si vous donnez à votre patrie ce secours par lettres , d’abord vous aurez la satisfaction d'avoir fait ce qui était en vous ; ensuite vous aurez consolé suffisamment des malheureux en paraissant compatir à leurs maux. Que ne pouvez-vous venir vous-même sur les lieux pour être témoin de nos infortunes ! la vue même des objets ne pourvoit que vous émouvoir, vous engager à élever la voix d'une manière qui réponde aux sentiments de votre âme et aux infortunes de notre, ville. Mais enfin ne refusez pas de croire mon récit. Nous aurions vraiment besoin d'un Simonide2, ou de quelque autre autre poète qui excelle dans les poèmes élégiaques et plaintifs. Que dis-je , Simonide ? il nous faudrait un Eschyle, ou quelque autre qui s'entendrait également à déplorer d’une voix forte et pathétique les grandes calamités de la vie humaine.

Les assemblées , les discours et les entretiens des personnes instruites , qu'on voyait et qu'on entendait dans la grande place de notre ville , en un mot, tout ce qui rendait notre ville célèbre a disparu. On voit maintenant dans notre place publique moins de savants et d'orateurs qu'on ne voyait jadis dans celle d'Athènes d'hommes diffamés en justice ou souillés d'un meurtre. La barbarie grossière de quelques Scythes et de quelques Massagètes a pris la place des sciences : on n'entend plus que la voix des exacteurs cruels , et les cris des malheureux due l'on fait payer et que l’on déchire à coups de fouet. Les portiques retentissent de toutes parts de lamentations auxquelles ils semblent mêler leurs gémissements et leurs plaintes, comme s'ils étaient sensibles aux malheurs des habitants. Les gymnases sont fermés , les nuits ne sont plus éclairées ; mais les soins que nous cause l’embarras de conserver notre vie , ne nous permettent pas de songer à ces désordres. ll est fort à craindre, après qu'on a enlevé les principaux de la ville, que tout ne croule, les colonnes qui soutiennent l’éditer: étant ôtées. Quel discours assez fort pourrait exprimer notre désastre ? La partie la plus saine du sénat a pris la fuite , préférant à sa patrie un exil perpétuel à Podande. Quand je dis Podande , imaginez-vous cet affreux abîme où l'on précipitait les criminels à Lacédémone : ou, si vous avez vu quelques-uns de ces gouffres formés par la nature qui exhalent un air infect, vous aurez une juste idée du séjour, ou plutôt de la prison de Podande. Les citoyens sont divisés en trois parts. Les uns ont fui avec leurs femmes et ont abandonné leurs maisons ; les autres , parmi lesquels sont presque tous les principaux, sont emmenés connue des prisonniers: spectacle aussi douloureux pour leurs amis, que satisfaisant pour leurs ennemis, si toutefois il est lut coeur assez barbare pour nous avoir souhaité tant, de maux. La troisième partie est demeurée dans la ville ; mais ne pouvant soutenir l'absence de leurs amis et de leurs proches , ni fournir à leur subsistance, ils trouvent la vie odieuse et insupportable.

Voilà les disgrâces que je vous exhorte à mettre sous les yeux du prince ou de ses ministres avec votre voix ordinaire, avec cette juste assurance que doit vous inspirer votre vertu. Fuites-leur sentir que, s'ils ne changent de système, ils ne trouveront bientôt personne sur qui ils puissent exercer leur humanité. Par-là, ou vous secourrez la patrie, ou du moins vous ferez ce que fit autrefois Solon, lequel ne pouvant sauver la liberté de ses concitoyens qui étaient demeurés dans la ville, parce qu'on s’était emparé de la citadelle, se revêtit de ses armes et s'assit à sa porte, témoignant par cette contenance qu'il n'approuvait en aucune sorte ce qui se passait3. Je suis très-convaincu que si on désapprouve main-tenant os représentations et vos démarches, elles vous feront par la suite une grande réputation de bonté et de prudence , quand on verra vos conjectures justifiées par l'événement.


  1. On connaît l'histoire ou la fable de Penthée, roi de Thèbes, qui, ayant montré du mépris pour Bacchus , fut déchiré et mis en pièces par les Ménades ou Bacchantes. ↩

  2. Simonide et Eschyle, poètes grecs; l'un élégiaque, et l’autre tragique, tous deux assez connus. ↩

  3. Plutarque rapporte la chose un peu différemment. Pisistrate, dit-il, s'étant emparé de la souveraine puissance, Solon prit les armes et exhorta les citoyens à faire de même. Pisistrate lui lit demander sur quoi il comptait en agissant de la sorte : Sur ma vieillesse , lui fit-il répondre. ↩

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