CHAPITRE V : QUE DIEU EXAUÇA EN FAVEUR DE MARC-AURÈLE LES PRIÈRES DES NÔTRES ET FIT TOMBER LA PLUIE DU CIEL
On raconte que le frère de celui-ci, Marc-Aurèle César, rangeait ses soldats en bataille contre les Germains et les Sarmates : son armée réduite par la soif était dans l'impuissance. Or les soldats de la légion appelée Mélitine, à qui sa foi a valu de subsister depuis ce temps jusqu'à ce jour, tandis qu'ils étaient en ligne de combat en face des ennemis, mirent le genou en terre selon l'usage qui nous est familier dans les prières et commencèrent à invoquer Dieu.1 [2] Les ennemis furent surpris de ce spectacle étonnant : on raconte qu'on en vit bientôt un autre plus surprenant : un orage soudain mit les ennemis en fuite, puis en déroule, tandis qu'une pluie douce rendait à elle-même l'armée de ceux qui avaient prié la divinité et qui avaient tous été en péril de périr de soif.
[3] Le récit de ce prodige est rapporté même pur les auteurs qui sont éloignés de notre foi et se sont occupés d'écrire l'histoire du temps dont il est question : on le rencontre d'ailleurs aussi chez les nôtres. Cependant les narrateurs païens, étrangers à notre croyance, racontent le fait merveilleux sans avouer qu'il est le résultat des prières des nôtres ; ceux de notre parti au contraire, amis de la vérité, le présentent simplement et ingénument comme il s'est accompli,2 [4] L'un d'eux est encore Apollinaire; il dit que depuis ce moment, la légion qui par la 57 prière avait fait ce miracle, reçut de l'empereur le nom latin caractéristique de Fulminante.3 [5] Tertullien peut lui aussi être décela un témoin digne de créance : dans une Apologie de la foi, qu'il adressa au Sénat romain, ainsi que nous l'avons mentionné plus haut, il confirme notre récit par une preuve plus forte et plus éclatante, [6] Il assure en effet qu'on avait encore de son temps une lettre de Marc-Aurèle, l'empereur le plus intelligent, dans laquelle il atteste que son armée, sur le point de périr de soif en Germanie, fut sauvée par les prières des chrétiens et Tertullien dit que ce prince menaça de mort ceux qui essaieraient d'accuser les nôtres.4 [7] Le même écrivain ajoute ceci : « De quelle genre sont donc ces lois impies, injustes, cruelles que l'on suit contre nous seulement, que Vespasien, quoiqu'il fût vainqueur des juifs, n'a pas observées, que Trajan a éludées en partie en défendant de rechercher les chrétiens, qu'Hadrien, qui s'occupait de tout avec un soin exclusif, qu'Antonin, appelé le Pieux, n'ont point appliquées. » Mais qu'on place ceci où l'on voudra.5
Pour nous, continuons notre récit. [8] Pothin était mort a l'âge de quatre-vingt-dix ans révolus avec les martyrs de la Gaule. Irénée lui succéda dans le gouvernement de l'église de Lyon que Pothin dirigeait; nous 59 avons appris que dans son jeune âge Irénée avait été disciple de Polycarpe. [9] Dans son troisième livre des Hérésies, il établit la succession des évoques de Rome et il l'arrête à Éleuthère dont nous étudions l'époque et qui existait au temps où Irénée écrivait son ouvrage Voici ce qu'il écrit.
-
Mάκρον Αὐρήλιον Καίσαρα, c'est-à-dire, d'après le système d'Eusèbe, Vérus, d'où l'expression τούτου ἀδελφόν Eusèbe a dû trouver le nom dans sa source, qui pourrait être l'apologie d'Apollinaire (DUCHESNE, p. 209, cf. § 4). Sur le fait lui-même, voy. DUCHESNE, p. 250; HARNACK, dans les Silzungsberichte de Berlin, 1894, p. 836; K. PRAECHTER, dans la Byzantinische Zeitschrift, t. XIV [1905]J, p. 257; MOMMSEN, Hermes, t. XXX [1895], p. 90; PETERSEN, Bullettino, 1894, p. 78. - Μελιτηνῆς. De la ville de Mélitine en Cappadoce, plus tard atlribuéeà l'Arménie, séjour ordinaire de la légion. — γόνυ θέντας: attitude particulière aux chrétiens dans la prière de supplication. ↩
-
τοῖς ἕξωθεν ἱστορικοῖς: DION CASSIUS, LXXI, VIII, qui attribue le miracle au magicien égyptien Arnuphis; Hist. Aug., M. Aur., xxiv, et Heliog., ix ; cf. CLAUDIEN, VI cons. Honor., 340-350. Marc-Aurèle lui-même dans les bas-reliefs de la colonne Autonine donne le rôle de sauveur à Jupiter pluvius. Le sophiste Themistius, au ive siècle, rapporte le miracle à la divinité, dans le style du déisme officiel et indéterminé du temps, XV, p. 191 ». ↩
-
κεραυνοβόλον. Le surnom est plus ancien et indique un culte particulier (sur le culte de Keraunos, voy. USENER, dans le Rhein. Museum, t. LX [1905], p. 1), plutôt que la 516 puissance de la légion qui agit comme la foudre (explication de A. von DOMASZEWSKI, Festschrift für Hirschfeld, p. 243 = Abhandlungen zur röm. Religion, Leipzig, 1909, p. 106); cf. le surnom Fulminata. // Sur Apollinaire, voy, plus haut IV, xxvii. ↩
-
ἐπιστολάς: le document apocryphe qui nous a été transmis à la suite de là première apologie de saint Justin (OTTO, Corp.apol., I, p. 246). Sur la conduite des empereurs à l'égard des chrétiens, voy. DUCHESNE, p. 109. ↩
-
L'idée de Tertullien est que seuls les mauvais empereurs sont persécuteurs : « Quales ergo leges istae quas adversus nos soli exsequuntur (var. : exercent) impii ». M. Schwartz suppose que la traduction grecque portait en conséquence :οἷς... μόνοι. Mais M. Harnack pense que la faute a pu être commise déjà par le traducteur grec, fort peu scrupuleux. ↩