Chapitre XXVIII. DE LA RESPIRATION.
La respiration est aussi du nombre des choses qui dépendent de l'âme. En effet, au moyen de certains muscles, nous dilatons notre poitrine, qui est le principal organe de la respiration ; les soupirs fréquents et profonds que nous poussons quand notre âme est émue par une vive douleur, montrent également que Pâme intervient dans l'exercice de la respiration; enfin, nous pouvons la modifier selon que les circonstances l'exigent. Car, si nous éprouvons de la douleur dans les organes de la respiration, ou dans les parties qui les avoisinent, comme le diaphragme, le foie, la rate, le bas-ventre, l'intestin grêle, ou le colon, notre respiration devient petite, et fréquente : petite, pour ne point ébranler trop la partie qui souffre; et fréquente, pour compenser par le nombre des inspirations, ce qui manque à leur 172 force : c'est ainsi que nous ne marchons qu'à petits pas quand nous avons mal à la jambe.
Notre âme règle donc notre respiration comme elle règle notre marche. Mais nous pouvons vivre longtemps en repos, et sans marcher, tandis que nous ne pouvons pas retenir notre respiration, même pendant la dixième partie d'une heure. Car alors la chaleur qui se produit en nous est comme étouffée par les vapeurs carboniques, ce qui cause bientôt la mort; de même que lorsqu'on enferme un corps enflammé dans un vase, en le privant d'air, il est promptement éteint par la vapeur carbonique. C'est pour cela que, même quand nous dormons, notre âme veille à ce que la respiration se fasse, parce que son interruption amènerait en peu de temps la mort. Nous voyons donc encore ici l'intervention des facultés de l'âme dans l'exercice des facultés physiques. Car, nous respirons par la trachée artère, qui est un organe des facultés physiques, dont le mouvement est continuel, afin que ses fonctions, aussi bien que celles des autres artères, n'éprouvent jamais d'interruption : ce qui a fait croire à quelques personnes, qui n'y ont pas assez réfléchi, que la respiration dépend uniquement des facultés physiques.
La respiration a trois causes : le besoin, la faculté, et les organes. Le besoin est de deux espèces : la conservation de la chaleur naturelle, et l'entretien des esprits vitaux. L'inspiration et 173 l'expiration satisfont au premier de ces besoins : en effet, l'inspiration modère et excite la chaleur naturelle; et l'expiration purifie le cœur de ses particules carboniques. Quant à l'entretien des esprits vitaux, l'inspiration seule y pourvoit; car le cœur, en se dilatant, absorbe à cet effet une portion de l'air aspiré. La faculté appartient à l'âme; puisque c'est l'âme qui, par le moyen des muscles, imprime le mouvement aux organes de la respiration et principalement à la poitrine.
Le mouvement de la poitrine est accompagné de celui des poumons, et de la trachée artère, qui est une dépendance des poumons. Car la partie cartilagineuse de la trachée artère est l'organe de la voix ; et sa partie membraneuse forme le tissu spongieux qui sert à retenir l'air1 qu'on respire. Ainsi-la trachée artère, prise dans son ensemble, est tout à la fois l'organe vocal, et l'organe respiratoire.
Le poumon est composé de quatre parties : la trachée artère, l'artère pulmonaire, la veine pulmonaire, et la substance spongieuse du poumon, qui garnit, comme de la stèbe2, tout l'es- 174 pace qui se trouve entre les trois autres parties, de sorte qu'elle leur sert à la fois d'appui et de lien.
La substance spongieuse du poumon opère naturellement, sur l'air, une espèce de digestion analogue à celle que le foie opère sur le chyle des intestins. Et de même que le foie embrasse, entre ses deux lobes, le ventre, qui a besoin de chaleur; de même aussi le poumon embrasse, par son milieu, le cœur qui a besoin d'être rafraîchi par Pair de la respiration. Le gosier, qui se compose de trois grands cartilages, est la continuation de la trachée artère : viennent ensuite le pharynx, le larynx et les narines. C'est, en effet, par les deux narines que l'air extérieur est aspiré; puis il passe à travers l'éthmoïde, os spongieux, comme à travers un crible, afin de ne pas offenser le cerveau par sa vivacité, en affluant vers lui trop brusquement.
Le créateur a voulu que les narines servissent tout ensemble à la respiration et à l'odorat, de même qu'il a fait de la langue l'instrument de la parole, du goût, et de la mastication. Ainsi, les organes les plus importants sont affectés en même temps à l'exercice des facultés nécessaires à la conservation de la vie, et à celui des facultés de l'âme. Si nous avons omis quelques-unes des choses qui servent à le démontrer, ce que nous avons dit précédemment doit suffire pour en convaincre.
175 Tous les êtres ont été créés, ou pour eux seulement, ou pour eux-mêmes et pour d'autres à la fois, ou seulement pour d'autres; quelques-uns aussi n'existent que d'une manière accidentelle : il en est de même de toutes les parties de l'animal. En effet, toutes celles qui servent d'organes aux trois ordres de facultés qui régissent l'animal ont été créées pour elles-mêmes : et comme ces parties sont les plus importantes, elles ont été formées les premières dans la matrice par la matière même du sperme, aussi bien que les os.
La bile blanche3 a été créée pour elle-même et pour autre chose : car elle sert à la digestion et à la sécrétion. Elle a donc rapport à la faculté nutritive, et, de plus, elle contribue à la chaleur du corps, comme la force vitale. Sous ces points de vue, elle paraît donc avoir été créée pour elle-même : mais parce qu'elle sert à purifier le sang, elle parait aussi avoir été créée pour autre chose que pour elle.
La rate joue également un grand rôle dans la digestion : comme elle contient de l'amertume et de l'acidité, et qu'elle verse dans le bas-ventre l'excès de son humeur noirâtre, elle agit sur les intestins comme astringent, elle leur donne du l'on, et elle augmente leur force digestive : elle 176 sert, en outre, à purifier le foie. Pour cela, elle parait avoir été créée à cause du sang.
Les reins servent aussi à purifier le sang et à exciter à la copulation : car les veines qui se dirigent vers les testicules, ainsi que nous l'avons dit précédemment, traversent les reins, et y puisent une certaine acrimonie qui provoque l'appétit charnel, de même que celle qui se fixe sous la peau occasionne de la démangeaison : or, cet appétit est d'autant plus vivement excité par l'acrimonie qui agit sur les testicules, que la substance de ces parties est plus délicate que celle de la peau.
Ces choses et celles du même genre ont donc été créées pour elles-mêmes et aussi pour d'autres. Quant aux glandes et à la chair, elles n'ont été créées que pour d'autres : les glandes sont, en effet, le support et l'appui des vaisseaux; elles les préservent de la rupture, lorsque des mouvements violents les soulèvent; et la chair est, pour les autres parties, une enveloppe qui les rafraîchit en été, au moyen de la transpiration, et qui les réchauffe en hiver, comme le ferait une épaisse couverture de laine.
La peau est le tégument commun de la chair qui est molle, et de toutes les autres parties du corps. La peau s'endurcit naturellement par le contact de l'air, et par celui des corps dont elle éprouve le frottement.
Le corps tout entier est soutenu par les os, 177 et principalement par la colonne vertébrale, qui a reçu le nom de carène de l'animal, τρόπις τοῦ ζώου.
Les ongles servent généralement d'instruments pour gratter, à tous les animaux qui en sont pourvus; mais ils ont encore d'autres usages particuliers pour certaines espèces. Ils ont été donnés, comme des armes, à plusieurs animaux, à ceux, par exemple, qui ont reçu le nom de γαμψώνυχοι, ou d'animaux à ongles crochue : ils sont alors les instruments de leur colère. D'autres s'en servent, à la fois, comme d'armes, et comme de points d'appui dans leur marche : tels sont les chevaux, et tous les animaux solipèdes. Les ongles ont été donnés aux hommes non-seulement pour apaiser et pour dissiper les démangeaisons de la peau, mais encore pour prendre les objets de petite dimension ; car c'est par leur moyen que nous saisissons ces objets. Ils ont aussi été placés à l'extrémité des doigts, et derrière eux, afin de les rendre plus capables de serrer avec force.
Pour les poils, leur existence est tout-à-fait accidentelle. Ils sont, en effet, produits par la condensation de la transpiration cutanée, qui est comme une espèce de vapeur qui se dégage du corps. Toutefois, le Créateur ne les a pas laissés sans utilité; mais, bien qu'ils soient des choses accidentelles, il les a fait servir au vêtement et à l'embellissement des animaux : au vêtement, 178 pour les chèvres et les brebis; à l'embellissement, pour l'homme. Dans certaines espèces, même, comme dans celle des lions, les poils sont destinés en même temps à ces deux usages.
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δεσμοὶ τῆς ἀναπνοῆς, les liens de la respiration : expression hardie, qui indique, avec énergie et concision, l'usage et la forme des innombrables ramifications de la partie membraneuse de la trachée artère. ↩
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δίκην στοιβῆς. La stèbe ou phléos est une plante flexible que l'on employait pour bourrer des coussins» des sièges, et pour tresser des corbeilles. Némésius fait ici allusion à ces deux usages de la stèbe. ↩
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On voit par ce chapitre, et par plusieurs autres de ce traité, que les anciens étaient bien plus avancés qu'on ne le croit communément dans la connaissance de l'anatomie et des fonctions organiques. ↩