7.
Si vous croyez que je me trompe, si vous prétendez que l’on peut concilier l’amour des richesses et de la gloire avec la pratique de toutes les vertus; si vous le soutenez sérieusement et non pour plaisanter, n’hésitez pas à nous apprendre cette nouvelle et étrange doctrine. Car je ne veux point inutilement me donner tant de maux, je ne veux pas sans profit me priver de tant de jouissances que je pourrais goûter en suivant votre exemple.
Mais ne nous abusons pas, cette science si commode, hélas! n’existe pas; je le conclus de vos exemples et de vos paroles, qui enseignent tout le contraire de ce que vous soutenez. En effet, comme si vous vous appliquiez à perdre vos enfants de propos délibéré, toute la pratique de votre vie les entraîne à une infaillible damnation.
Voyez donc la chose d’un peu haut. Malheur, dit Jésus, à ceux qui rient! Et vous, vous fournissez à vos enfants toutes les occasions possibles de rire. Malheur aux riches! Et vous, vous mettez tout en oeuvre pour qu’ils amassent des richesses. Malheur à vous, quand tous les hommes vous combleront d’éloges !/ (Luc. VI, 24 et suiv.) Et vous, vous avez souvent sacrifié tous vos biens pour conquérir ces applaudissements du peuple. Notre-Seigneur dit encore : Celui qui injurie son frère est passible de la peine de l’enfer; et vous, vous traitez de lâches et de poltrons ceux qui endurent en silence les outrages des autres. Jésus-Christ interdit à ses disciples les combats et les procès; et vous, vous ne cessez de vivre dans cette dangereuse atmosphère. Il a ordonné d’arracher son oeil, lorsqu’il devenait une occasion de perte; et vous, vous n’avez pas d’amis plus chers que ceux qui peuvent vous enrichir, fût-ce même en vous rendant vicieux. Il ne permet point de renvoyer son épouse, excepté pour cause d’adultère; et vous, quand il est question de gagner de l’argent, vous êtes d’avis qu’il ne faut pas tenir compte de cette défense. Il a défendu les serments; et vous, vous riez, si vous voyez quelqu’un garder ceux qu’il a faits. Celui qui aime sa vie, dit Jésus, la perdra (Jean. XII, 25); et vous, vous ne négligez rien pour engager votre fils dans cet amour. Si vous ne pardonnez, dit-il, aux hommes leurs offenses, votre Père céleste ne vous pardonnera pas (Matth. VI, 14); et vous, vous reprenez vos enfants quand ils ne veulent pas se venger de ceux qui les ont offensés, et vous les dressez le plus tôt possible à cet esprit de vengeance. Jésus-Christ a déclaré que ceux qui recherchent la gloire, perdent tout le fruit de leurs oeuvres, soit-qu’ils prient, soit qu’ils jeûnent, soit qu’ils fassent l’aumône; et vous, vous exhortez votre fils à dépenser toute son activité au service de cette idole.
Qu’est-il besoin d’énumérer toutes ces oppositions coupables, lorsque celles que je viens de rapporter suffiraient à nous précipiter au plus profond de l’enfer, je ne dis pas réunies toutes ensemble, mais chacune prise à part et isolément? Et vous, vous réunissez tout cela, vous en faites un faisceau énorme de péchés que vous mettez sur la tête de vos enfants, et puis vous les lancez ainsi dans le fleuve de feu. Comment pourraient-ils se sauver, jetés dans le feu avec tant de matières inflammables? Vous ne vous bornez pas à prôner des maximes contraires aux préceptes de Jésus-Christ, vous parez encore le vice de noms séduisants. Ainsi, courir les hippodromes et les théâtres, c’est le bon ton; s’enrichir, c’est assurer son indépendance; désirer la gloire, c’est de la grandeur d’âme; l’insolence est de la franchise, la prodigalité de la charité et l’injustice du courage.
Ensuite comme si cette supercherie ne suffisait pas, vous travestissez la vertu en la présentant sous des noms qui la rendent ridicule; vous appelez rusticité la tempérance, pusillanimité la douceur, imbécillité la justice; l’éloignement du luxe devient de la bassesse, et la patience des injures, de la faiblesse : craignez-vous donc que, venant à connaître par d’autres le vrai nom des choses, vos enfants n’échappent à la corruption? Car ce n’est pas peu de chose pour détourner du vice que de lui donner son propre nom, sans déguisement; ce moyen a tant de force pour frapper les pécheurs que bien souvent, ceux qui se sont signalés par les vices les plus honteux ne peuvent souffrir d’être appelés ce qu’ils sont; ils se mettent en colère et se déchaînent comme si on leur faisait la plus grande injure. Que quelqu’un vienne appeler votre femme adultère, votre fils débauché, il se rend votre irréconciliable ennemi, il vous fait la plus sanglante injure, surtout s’il dit la vérité. il en est de même de l’avare, de l’ivrogne , de l’insolent, en. un mot de tous ceux qui ont l’habitude du vice, quel qu’il soit ; vous les verrez moins peinés et moins affligés du fait même et de l’opinion du public que du nom de leurs vices. J’en sais beaucoup qui ont été corrigés de cette manière et que ces sortes d’affronts- ont rendus plus sages.
Mais vous, vous anéantissez même cette ressource extrême; et le plus terrible, c’est qu’à l’enseignement par la parole, vous ajoutez celui de l’exemple, bâtissant des palais fastueux, achetant de riches domaines, vous entourant de tout le luxe imaginable, en un mot enveloppant les âmes de vos enfants des plus épais nuages que vous pouvez.. Comment croire maintenant le salut possible pour vos fils, quand je vous vois les pousser à tous les péchés qui, d’après la parole même de Jésus-Christ, doivent perdre les hommes qui les commettent? quand je vous vois mépriser leur âme comme une chose secondaire et prendre sOuci de ce qui est réellement l’accessoire, comme de la chose nécessaire et principale? En effet, vous faites tout pour que votre enfant ait un laquais, un cheval, le plus bel habit; quant à le rendre meilleur, vous ne daignez même pas y songer, tandis que vous étendez votre sollicitude à du bois, à des pierres; vous ne jugez pas son âme digne de vous occuper seulement un instant. S’agit-il d’ériger dans votre demeure une statue qui excite l’admiration, d’y faire briller un lambris doré, rien ne vous coûte; quant à la plus précieuse de toutes les statues, l’âme de votre enfant, vous ne daignez pas vous inquiéter. comment vous en ferez une âme d’or.