7.
Pour voir une image de ce que je vous dis, transportez-vous sur un champ de bataille, et supposez qu’un de nos plus braves guerriers reçoive de la main d’un barbare un premier coup de lance ou de javelot qui lui perce le coeur ou le foie, puis une seconde blessure encore plus mortelle qui le fasse tomber baigné dans son sang; supposez qu’ainsi blessé, il se relève néanmoins aussitôt, et que d’un coup de sa lance il fasse mordre la poussière à son ennemi. C’est la même chose ici; plus vous exagérez la blessure et la chute de David, plus vous donnez lieu d’admirer le courage qu’il fallut à ce fier combattant pour se relever, s’élancer au front de la phalange et terrasser celui qui l’avait blessé. Ceux qui sont tombés dans de grands crimes comprendront aisément combien il est difficile de se relever de la sorte.
Il n’est pas besoin, ce me semble, d’un si grand courage pour continuer notre course lorsque nous marchons avec succès dans la bonne voie, puisqu’alors la confiance en Dieu nous accompagne, nous anime, nous soutient, et nous donne toujours de nouvelles forces. Mais de voir un homme qui après avoir vaincu autant de fois qu’il a combattu, est renversé tout à coup par son ennemi, et se relève néanmoins aussitôt et recommence sa course avec plus de vigueur qu’auparavant, c’est ce qu’on ne peut assez admirer.
Pour vous expliquer ceci plus clairement je me servirai d’une comparaison encore plus sensible. Représentez-vous un pilote qui a traversé toutes les mers sans y faire naufrage; et qui après s’être tiré par son adresse de tous les périls, des flots, des tempêtes et des écueils, fait enfin naufrage au port, d’où il a peine à se sauver tout nu; dans quelle disposition croyez-vous que cet homme puisse être à l’avenir à l’égard de la navigation? Croyez-vous qu’à moins d’avoir un courage tout extraordinaire, il voulût seulement voir un vaisseau, ou regarder le bord de la mer? Je ne doute point qu’après cela il ne penserait plus qu’à mener une vie cachée, qu’il perdrait toutes les espérances qu’il aurait conçues, et qu’il aimerait mieux mendier pour vivre que de s’exposer encore aux mêmes périls. Ce qui relève donc le courage de David, c’est qu’il a fait avec tant de générosité ce que ce pilote ne pourrait faire. Après ce naufrage horrible qui lui fit perdre en un moment ce qu’il avait acquis durant tant d’années, après tant de travaux employés inutilement, il ne tombe point dans le désespoir, et ne se condamne point à d’éternelles ténèbres. Il ramasse les débris de son naufrage; il radoube son vaisseau; il en réunit les ais séparés; il en rejoint les voiles déchirées, il reprend le gouvernail en main;et se remettant en mer, il amasse plus de richesses qu’il n’en avait acquis auparavant.
Si l’on admire celui qui peut se tenir ternie sans tomber, quelle louange mérite celui qui tombe, mais qui loin de s’abattre, se relève si promptement? Cependant combien de considérations (222) devaient jeter David dans le désespoir! Premièrement la grandeur de son crime. En second lieu l’âge où il était, puisqu’il n’était plus dans la jeunesse dont la vigueur nourrit aisément notre espérance, mais dans la vieillesse. Aussi le marchand qui fait naufrage presque en s’embarquant ne s’en afflige pas tant que celui qui revenant d’une longue et heureuse navigation perd tout le fruit de sa peine en se brisant contre un écueil. En troisième lieu, l’immensité des richesses perdues dans le désastre; en effet, quelle fortune spirituelle n’avait-il pas amassée depuis son enfance, depuis le temps qu’il était berger, par son combat contre Goliath; par son extrême douceur envers Saül, témoignant à son égard une générosité tout évangélique, lui pardonnant toutes les fois qu’il tombait entre ses mains, et aimant mieux perdre son pays, sa liberté et sa vie même, que de tuer un ennemi si injuste, qui cherchait sans cesse des moyens de le perdre; enfin par les actions de vertu qu’il fit encore après qu’il eut ceint le diadème royal!