1.
Après tant de prédictions pleines de terreur que Jésus-Christ vient de faire à ses apôtres, prédictions qui pouvaient abattre les coeurs les plus fermes, après ce déluge de maux qui devait fondre sur eux, lorsqu’après être mort sur une croix, leur Maître serait ressuscité et monté au ciel, il passe à des choses moins pénibles et moins dures, pour donner lieu à ses nouveaux soldats de reprendre un peu leurs esprits, et pour les rassurer contre la crainte. Car il ne leur commande pas d’aller attaquer eux-mêmes et d’irriter leurs persécuteurs, mais de les fuir.
Comme ils étaient faibles et qu’ils ne faisaient que débuter dans l’apostolat, il use d’une grande condescendance. Il ne leur parle point encore des persécutions qui devaient suivre sa passion, mais seulement de celles qui la devaient précéder. Il marque cela formellement lorsqu’il dit: « Je vous dis en vérité que vous n’aurez pas achevé de parcourir toutes les villes d’Israël, que le Fils de l’homme ne soit venu. » Il semble qu’il les veuille prévenir et les empêcher de dire : Mais si, lorsque nous aurons fui d’une ville dans une autre, nos persécuteurs nous y viennent encore chercher, que devrons-nous faire? Il les délivre de cette crainte en les assurant qu’ils n’auraient point achevé de parcourir toutes les villes de la Judée « avant que le Fils de l’homme soit venu. »
Il est remarquable aussi que Jésus-Christ ne veut point dispenser ses disciples de souffrir, mais qu’il leur promet seulement de les assister dans leurs périls et dans leurs travaux, Il ne leur dit pas : Je vous retirerai de toutes ces persécutions, mais: « Vous n’aurez u point achevé de parcourir toutes les villes « d’Israël, que le Fils de l’homme ne soit venu. »Je viendrai, leur dit-il, parce que sa seule vue leur suffisait pour les consoler de toutes leurs peines.
Considérez aussi comment il ne laisse pas tout faire à sa grâce; mais qu’il veut que ses apôtres travaillent, et qu’ils contribuent de leur part. Si vous craignez, leur dit-il, fuyez et ne craignez plus. Il ne leur commande pas de fuir les premiers et de leur propre mouvement, mais d’attendre qu’on les y force, et de se retirer lorsqu’on les y oblige. Il ne leur donne pas même une grande étendue de terre pour y chercher leur sûreté, mais seulement les pays de la Judée.
Il les excite ensuite à pratiquer encore une autre vertu. Après les avoir dégagés du soin de la nourriture; après les avoir délivrés de la crainte des périls, il les fortifie maintenant contre les médisances et les calomnies. Il les a dégagés de tous les soins qu’apporte la nourriture, en leur disant : « Celui qui travaille mérite qu’on le nourrisse, » en les assurant que plusieurs les recevraient chez eux. Il leur (280) a ôté la crainte des périls lorsqu’il leur a dit : « Ne vous mettez point en peine de ce que vous direz ou comment vous répondrez; » et en les assurant que « celui-là sera sauvé «qui persévérera jusqu’à la fin. » Mais parce qu’il prévoyait qu’ils passeraient ‘pour des méchants et des séducteurs, ce qui paraît à quelques-uns la chose du monde la plus insupportable, il les fortifie contre cette crainte par son exemple, en les faisant ressouvenir de ce qu’on avait dit contre lui, ce qui était la plus grande consolation que ce divin Maître pût laisser à ses disciples. Ainsi comme lorsqu’il leur avait dit auparavant: « Tout le monde vous haïra, » il ajoute aussitôt : « à cause de « mon nom; » il les console ici de même, mais en ajoutant une nouvelle raison. Voici ce qu’il dit : « Le disciple n’est pas plus que le maître, ni l’esclave plus que son seigneur (24). C’est assez pour un disciple d’être comme son maître, et pour un esclave d’être comme son seigneur. S’ils ont appelé le père de famille Béelzébub, combien plutôt traiteront-ils de même ceux de sa maison (25)? » Il fait voir clairement dans ces paroles qu’il est Dieu, et Créateur de toutes choses. Quoi donc! me direz-vous, n’y a-t-il jamais de disciple qui soit plus grand que son maître, ni d’esclave qui soit plus estimable-que son seigneur? Non, le disciple en tant que disciple, l’esclave en tant qu’esclave n’est jamais plus grand que son maître selon l’ordre naturel des choses. Ne me citez pas ici quelques exceptions fort rares, raisonnez d’après la règle générale.
Remarquez aussi qu’il ne dit pas: « S’ils ont appelé le père de famille Béelzébub, combien plus traiteront-ils de même » ses esclaves? mais ceux de sa maison, usant de ce terme pour montrer l’affection qu’il avait pour eux; comme il fait encore ailleurs en leur disant:
« Vous serez mes amis si vous faites ce que je vous ai commandé; » et: « Je ne vous donnerai plus le nom d’esclaves, mais d’amis. » (Jean, XV, 14, 15.) Il ne leur dit pas en général qu’on a outragé le père de famille, mais il marque en particulier l’injure, en disant qu’on l’a appelé Béelzébub. Il joint à cela une troisième consolation plus grande que les deux premières; parce que, comme ils n’étaient pas encore élevés à une haute vertu, il avait besoin de les exciter par des considérations plus sensibles. C’est ce qu’il fait ici par une sentence qui semble générale et universelle, mais qu’il ne faut entendre néanmoins que du sujet auquel Jésus-Christ l’applique.
« Ne les craignez donc point. Car il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu (26). »Il leur dit par là: Il vous doit suffire pour votre consolation que moi, qui suis votre Maître et votre Seigneur, j’ai bien voulu passer le premier, par les mêmes outrages que vous aurez à souffrir. Si cela ne vous, suffit pas pour adoucir votre douleur, considérez au moins que dans peu de temps vous serez délivrés de ces faux soupçons. Car de quoi vous affligez-vous? Est-ce de ce qu’on vous appelle des séducteurs et des imposteurs? mais attendez un peu, et vous verrez tout le monde reconnaître et publier hautement que vous êtes les sauveurs de toute la terre.
Le temps découvre enfin ce qui est le plus caché. Il fera connaître un jour votre innocence, et la malice de ceux qui vous calomnient; Quand on verra par vos actions que vous êtes la lumière du monde, que vous comblez de grâces tous les hommes, et que vous éclaterez en toutes sortes de vertus, on ne s’arrêtera plus alors aux discours de vos calomniateurs; mais on jugera de vous selon la vérité. Vos ennemis passeront publiquement pour des imposteurs, pour des médisants, pour des âmes noires et malignes, et votre vertu sera plus éclatante que le soleil. Votre réputation se répandra et se publiera dans toute la terre, et tous les hommes seront les témoins de vos grandes actions. Ne vous laissez donc pas abattre par les maux que je vous prédis maintenant, mais fortifiez-vous par l’espérance des biens à venir. Car remplissant la mission à laquelle je vous destine, il est impossible que vous demeuriez éternellement dans l’obscurité.