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Avez-vous frémi de ces paroles? frémissez encore bien plus, si vous vous rendez coupable des mêmes actes. Ce que Paul dit de ceux qui méprisent les pauvres et qui mangent seuls : « N'avez vous pas des maisons pour manger et pour boire? Méprisez-vous l'église de Dieu, et voulez-vous faire rougir ceux qui ne possèdent rien » (I Cor. XI, 22), permettez-moi de l'appliquer à ceux qui font du bruit et qui parlent à l'église. N'avez-vous pas des maisons pour bavarder? Méprisez-vous l'église de Dieu? Et voulez-vous corrompre ceux qui sont modestes et tranquilles? Mais il vous est doux et agréable de parler à ceux qui vous sont connus. Je ne vous le défends pas, mais faites-le chez vous, sur la place publique, dans les bains; l'église n'est pas un lieu de conversation, mais d'enseignement. Mais aujourd'hui elle ne diffère en rien d'un marché, et si le mot n'était point trop fort, d'un théâtre, car les femmes qui s'y réunissent sont parées de vêtements plus lascifs et plus impudiques que les courtisanes de la scène. C'est cela même qui y attire beaucoup d'hommes impudiques; si l'on veut séduire ou corrompre une femme, aucun lieu n'y paraît plus propre, je pense, que l'église ; si l'on veut vendre ou acheter quelque chose, on trouve l'église plus commode que le marché. Car il y a là plus de conversations à ce sujet que dans les boutiques mêmes.
Si l'on veut même blasphémer et entendre des blasphèmes, c'est là qu'on les entendra, plutôt que sur la place publique; si vous voulez apprendre les affaires de la ville, ce qui se passe dans les maisons et dans les camps, n'allez pas au tribunal, ne demeurez pas dans la boutique des médecins; c'est ici qu'on les annonce le plus exactement, ce lieu est tout plutôt qu'une église. Je vous ai peut-être réprimandés fortement; pour moi, je ne le pense pas. Si vous persévérez dans votre égarement, comment pourrai-je savoir que mes paroles vous ont touchés. Il est donc nécessaire de répéter mes réprimandes. Cela est-il tolérable? Cela est-il supportable? Tous les jours nous nous fatiguons et nous nous épuisons pour vous renvoyer avec quelque instruction utile, et cependant personne de vous ne se retire avec quelque profit, mais avec un dommage plus grand encore; car vous vous rendez coupables, quand vous n'avez aucune occasion de pécher, et par vos importunes bagatelles vous chassez ceux qui valent mieux que vous et qui se tiennent tranquilles ; mais que disent la plupart: je n'entends point, disent-ils, ce qu'on lit; je ne sais point ce qu'on dit; c'est parce que vous faites du bruit et du tapage, et que vous n'arrivez point avec un esprit doué du sens de piété. Que dites-vous? Vous ne savez ce que signifient ces paroles; c'est -pour cela même qu'il fallait faire attention. Et si ce qui est obscur n'excite point votre esprit, vous feriez moins attention encore à ce qui serait clair et manifeste. C'est pour cela que tout n'est pas clair, afin que votre attention ne soit pas paresseuse, et que tout n'est pas obscur, afin que volis ne désespériez pas de le comprendre. Un eunuque, un barbare ne parlent point ainsi, mais, lors même qu'ils sont accablés d'une multitude d'affaires, et qu'ils sont au milieu de la rue, ils ont un livre à la main et ils lisent; et vous, qui avez cette foule de docteurs et des gens qui lisent pour vous, vous (551) m'apportez des excuses et de vains prétextes. Vous ne savez ce qui se dit? Priez donc Dieu de vous l'apprendre. Mais il ne peut se faire que vous ignoriez tout; beaucoup de parties sont claires et lucides, et, lors même que vous ne comprendriez rien , il faudrait encore vous tenir tranquille, afin de ne point chasser ceux qui sont attentifs, et alors comme votre silence et votre réserve seraient agréables à Dieu, il rendrait clair ce qui est obscur pour vous. Mais vous ne pouvez vous taire? Sortez donc, afin de ne;point apporter de dommage aux autres. Car il faut que dans l'église il n'y ait qu'une seule voix, comme s'il n'y avait qu'une seule personne. C'est pour cela que celui qui lit parle seul, que celui qui préside l'assemblée demeure assis en silence, que celui qui chante chante seul, et quand les autres lui répondent, c'est comme une seule voix qui sort d'une seule bouche; et celui qui parle au peuple parle seul. Mais lorsqu'un grand nombre de docteurs discutent sur des choses diverses, pourquoi nous nous imposerions-nous un jeu inutile? En effet, si vous n'aviez point la légèreté de croire que nous vous imposons une gène inutile, quand nous parlons de choses si importantes, vous ne parleriez point de ce qui n'y a aucun rapport. Ainsi, ce n'est pas seulement dans votre conduite, c'est encore dans votre appréciation des choses qu'il y a de la perversité; vous convoitez ce qui est superflu, et, négligeant- la vérité, vous poursuivez des ombres et des rêves.
Tous les biens présents , ne sont-ce pas de l'ombre et des rêves, et quelque chose de plus vain que l'ombre? Avant qu'ils apparaissent, ils se dissipent, et, avant de s'envoler, ils nous laissent un trouble bien plus grand que le plaisir qu'ils ont pu nous procurer. Celui qui a enfoui des richesses incalculables, est pauvre quand la nuit est passée, et avec raion. Ceux qui sont riches en rêve, une fois qu'ils sont sortis du lit, n'ont rien de ce qu'ils ont cru voir pendant leur sommeil : il en est de même des avares et de ceux qui sont tourmentés du désir de toujours posséder davantage , que dis-je ? leur état est pire encore. Celui qui est riche en rêve, n'a point les richesses qu'il a cru voir en songe, et se lève sans avoir reçu de son rêve aucun mal; mais l'avare est à la fois privé des richesses, et rempli de tous les péchés qui naissent des richesses ; les plaisirs qui viennent des richesses, il n'en jouit que dans une espèce de fantôme , mais les maux qui en viennent ne sont pas un fantôme, mais la vérité même ; le plaisir n'a existé qu'en rêve, le supplice qui suit le plaisir n'existe pas seulement en rêve, il est réel; et, même avant ce supplice, l'avare est puni des plus forts châtiments; en amassant les richesses, il est en proie aux soucis innombrables, aux inquiétudes, aux accusations, aux calomnies, aux tumultes et aux désordres. Pour être donc délivrés des rêves et des maux qui ne sont pas des rêves, au lieu de l'avarice et du désir d'amasser adoptons les aumônes, et au lieu des rapines, la bienveillance. C'est ainsi que nous obtiendrons les biens présents et futurs par la grâce et la faveur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit., appartiennent la gloire, la puissance, l'honneur, aujourd'hui et toujours, et jusque dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
