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Et voyez l'excès d'humilité : après avoir dit : « Et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même », il ne s'est pas contenté de ces paroles ; « car beaucoup », dit l'évangéliste, « qui avaient été les premiers seront les derniers, et beaucoup qui avaient été les derniers seront les premiers ». (Matth. XIX, 30.) Voilà pourquoi il ajoute : « Qui ne suis qu'un avorton ». Et il ne s'arrête pas là, mais il joint à ces réflexions le jugement personnel qu'il porte sur lui-même , et qu'il motive : « Car je suis le moindre des apôtres, et je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, a parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu (9) ». Il ne dit pas le moindre des douze apôtres, mais même de tous les autres apôtres. Or, dans toutes ces paroles, il obéit à un sentiment de modestie, et, comme je l'ai déjà dit, à la nécessité de disposer son discours de manière à faire recevoir ce qu'il vent faire entendre. S'il avait dit d'emblée : « Vous devez m'en croire, le Christ est ressuscité ; je l'ai vu, et je suis de tous le plus digne de foi, parce que. c'est moi qui ai le plus travaillé, il aurait offensé ses auditeurs ; il parle au contraire avec humilité de son abjection, des actes pour lesquels il mérite d'être accusé ; il retranché ainsi de son discours ce qui peut choquer, et il prépare la confiance à son témoignage. Voilà pourquoi, comme je l'ai déjà dit, il ne déclare pas seulement qu'il est le dernier, qu'il est indigne du titre d'apôtre, mais il dit pourquoi : « Parce que j'ai persécuté l'Eglise ». Assurément tous ces péchés lui avaient été remis, toutefois il ne les a jamais oubliés; en les rappelant, il tient à montrer l'abondance de la grâce de Dieu. Aussi ajoute-t-il : «Mais c'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis (10) ». Voyez-vous encore cette preuve insigne d'humilité? Les fautes, il se les attribue; les bonnes oeuvres, il ne les regarde en rien comme siennes, c'est à Dieu qu'il rapporte (563) tout. Mais il ne faut pas que ses dernières paroles jettent l'auditeur dans le relâchement; aussi dit-il : « Et sa grâce n'a point été stérile en moi ». Il y a encore ici l'humilité; il ne dit point : J'ai montré un zèle ardent qui. méritait la grâce, mais : « Elle n'a point été stérile, mais j'ai travaillé plus que tous les autres ».
Il ne dit pas : J'ai été honoré, mais : « J'ai travaillé » ; il pouvait dire les dangers et les morts qu'il avait su affronter; le mot de travail atténue son éloge. Ensuite, par l'humilité qui lui est habituelle, glissant vite sur ce point, il rapporte le tout à Dieu; il dit : « Non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi », Où rencontrer une âme qui mérite plus d’admiration ? Entre tant de paroles pour se rabaisser, s'il en prononcé une seule qui l'élève, alors même il ne s'attribue pas le mérite, et tant par ce qui précède que par ce qui suit, il corrige l'orgueil de ce qu'il n'a dit pourtant qu'à cause que la nécessité le contraignait. Voyez l'abondance, les flots de paroles qui expriment l'humilité. En effet, « et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même »; voilà pourquoi il ne nomme pas un autre apôtre avec lui; et, « qui « ne suis qu'un avorton » , il se regarde comme le moindre des apôtres, comme indigne de ce titre. Ce n'est. pas tout : il ne veut pas afficher l'humilité en paroles , il donne des raisons, il démontre qu'il n'est qu'un avorton, puisqu'il a été le dernier à voir Jésus, qu'il est indigne du titre d'apôtre, puisqu'il a persécuté l’Eglise. Telle n'est pas la conduite de celui dont l'humilité n'est qu'une apparence ; mais celui qui explique ses motifs d'humilité, prouve la contrition de son coeur. Aussi voit-on ailleurs dans Paul l'expression des mêmes sentiments : « Je rends grâces à celui qui. m'a fortifié, à Jésus-Christ, de ce qu'il m'a jugé fidèle, en m'établissant dans son ministère, moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi outrageux ». (I Tim. I, 12, 13.) Mais pourquoi cette fière parole : « J'ai travaillé plus que tous les autres? » La circonstance le contraignait. S'il ne l'eût pas dite, s'il n'eût fait que se rabaisser, comment. aurait-il pu trouver assez d'assurance pour produire son propre témoignage, pour se compter avec les autres apôtres, de manière à dire : « Ainsi, soit moi, soit ceux-là, quel que soit celui de nous qui parle , voilà ce que nous prêchons (11) ? » Un témoin doit être digne de foi et avoir de la valeur. Maintenant, en ce qui concerne ce fait qu'il a travaillé plus que les autres, il l'a prouvé plus haut, en disant : « N'avons-nous pas le droit de manger et de boire comme les: autres apôtres? » Et encore : « J'ai vécu avec ceux qui n'avaient pas de loi, comme si je n'eusse point eu de loi». (I Cor. IX, 4, 21.) Fallait-il montrer la régularité, la perfection, il surpassait tous les autres; fallait-il savoir user de condescendance , il montrait, en ce sens, la même supériorité. Quelques auteurs entendent par ce plus grand nombre de fatigues, ses missions auprès des nations, ses voyages dans la plus grande partie de la terre. D'où il est manifeste qu'il avait reçu plus de grâces. Car s'il a plus travaillé, c'est que la grâce en lui était plus abondante; et s'il a reçu plus de grâces, c'est qu'il a montré un zèle plus ardent. Voyez-vous comme ses efforts pour se mettre à l'ombre, pour dissimuler sa valeur, ne vont qu'à montrer qu'il est le premier de tous?
