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Car si Dieu a commandé d'aimer ses ennemis, le démon est parvenu à persuader à quelques personnes de haïr même leur propre corps. Dire que le corps est l'oeuvre du démon, ce n'est pas autre chose que prouver qu'il le. faut haïr, ce qui est le comble de la démence. Si c'est l'oeuvre du démon, d'où vient cette harmonie parfaite qui le rend de tout point capable de ménager à l'âme la pratique de la sagesse? Mais, dira-t-on, si le corps est un instrument propre à l'âme, comment se fait-il qu'il aveugle l'âme? Ce n'est passe corps qui aveugle l'âme, loin de vous, ô hommes, cette pensée ; c'est l'amour de la mollesse. Mais cette mollesse d'où vient que fous la recherchons? Ce n'est pas parce que nous avons un tores, nullement ; mais c'est parce que nous avons une volonté pervertie. Ce qu'il faut au corps, c'est la nourriture , non la pourriture de la mollesse; ce qu'il faut au corps, c 'est l'aliment, non le dissolvant. Ce n'est pas l'âme seule, c'est, avec l'âme, ce corps qu'un prétend nourrir, qui trouve dans la mollesse une ennemie. Il s'affaiblit au lieu de se fortifier, il s'amollit au lieu de rester ferme; à. la santé succède la maladie; â la légèreté, la lourdeur; à la consistance, la consomption; à la beauté;. la laideur; à l'odeur agréable, la puanteur; à la pureté, la souillure; au bien-être, la douleur; à l'utile activité, l'inutile torpeur; à la fraîcheur, la vétusté; à l’énergie, le marasme; à l'agilité, la gaucherie pesante; il était fort et droit, il boite.. Et maintenant, si le corps était l'ouvre du démon, il ne conviendrait pas davantage qu'il souffrît de ses attaques, je veux dire des atteintes du vice. Mais ni le corps, ni les aliments ne sont les couvres du démon, la seule mollesse en vient. C'est par elle que le démon pervers produit des maux sans nombre; c'est par là qu'il a perdu tout un peuple. « Ce peuple s'est engraissé », dit l'Ecriture, « s'est rempli d'embonpoint, et a regimbé après avoir été tant aimé ». (Dent. XXXII, 15.) C'est encore par là qu'ont commencé les foudres contre ceux de Sodome. C'est ce que marquait Ezéchiel, en disant : « Voici quelle a été l'iniquité de Sodome : en se voyant rassasiée de. pain, dans l'abondance, elle s'est plongée dans les plaisirs déréglés ». (Ezéch. XVI, 48.)
Voilà encore pourquoi Paul disait : « La veuve qui se plonge dans les plaisirs déréglés, toute vivante qu'elle est, est morte ». (I Tim. V, 6.) Pourquoi? c'est qu'elle promène comme un sépulcre son corps couvert de maux sans nombre. Or si le corps est ainsi perdu, quel sera l'état de l'âme, quel trouble, quels flots, quelle tempête, quel bouleversement ! La voilà donc, n'en doutons pas, inutile pour toutes choses, incapable de dire, incapable d'entendre; de prendre un parti, de rien faire de ce qui convient; comme un pilote dont la science est vaincue par la tempête, s'engloutit dans les flots avec le navire, avec tous les passagers, ainsi l'âme,.avec le corps, plonge et s'engloutit dans l'affreux abîme où se perdent tous les sentiments. Car Dieu nous a donné notre ventre comme une meule dont la puissance est mesurée, qui doit moudre chaque jour une quantité dont la mesuré est déterminée. Si donc on y jette au-delà de la mesure prescrite, ce qui n'a pas subi le travail de la meule, produit la destruction du corps entier. De là les maladies, les défaillances, les altérations funestes; car l'excès des plaisirs n'engendre pas seulement les maladies, mais substitue la laideur à la beauté. Voyez l'homme dont la respiration ramène à chaque instant des exhalaisons insupportables, dégage les miasmes infects du vin, dont la figure présente une rougeur exagérée;. voyez l'homme abusant de la toilette qui convient aux femmes, n'ayant plus aucune décence dans la parure; voyez cette chair flasque; ces paupières injectées, gonflées de sang, cette obésité, cette surcharge inutile d'un embonpoint énorme, réfléchissez à tout ce qu'il en résulte d'incommodité. J'ai entendu nombre. de médecins prétendant que l'abus des voluptés souvenu empêche le développement de la taille. Car le souffle étant embarrassé par la multitude des aliments précipités dans l'intérieur, et n'étant plus employé qu'à aider le travail de la digestion, ce qui devait servir à l'accroissement du corps, se perd dans (578) l’élaboration que rend nécessaire tout ce superflu qu'on entasse. Que dire de ces gouttes, de ces rhumatismes qui se promènent dans toutes les parties du corps, des autres maladies qui en naissent, de toutes les douleurs honteuses?
Non,. rien n'est aussi désagréable à voir qu'une femme qui se charge de nourriture. Voilà pourquoi la beauté se rencontre plus souvent chez celles qui souffrent de la pauvreté; pour elles, ce superflu qui nuit au corps se rejette sans peine; il n'y a pas là une boue qui s'attache inutilement à leur substance, comme cette fange dont on reçoit, dont on emporte l'éclaboussure Les exercices de chaque jour, les fatigues, les peines, la frugalité, le régime de la pauvreté leur font une bonne constitution, et de là résulte pour elles l'éclat de là beauté. Si vous prétendez objecter que la délicatesse a ses plaisirs, vous trouverez qu'ils ne vont pas plus loin que l'entrée de la gorge; une fois la langue dépassée, les plaisirs, s'envolent, il n'en reste plus qu'un grand nombre d'inconvénients désagréables. Il ne suffit pas de voir les délicats an moment de la table, voyez-les quand ils se lèvent, suivez-les alors, ce sont des bêtes, ce sont des brutes, ce ne sont plus des hommes. Voyez ces têtes pesantes, ces bâillements, ces bras, ces jambes qui s'allongent, ce corps embarrassé, garrotté de mille liens, à qui il faut le lit, des couvertures, du repos surtout, ce tourbillonnement comme s'il y avait une tempête au milieu des flats; voilez ces naufragés qui ont besoin de sauvetage, qui ne soupirent plus qu'après l'état où ils se trouvaient avant de se crever le ventre. On dirait des femmes en mal d'enfant à les voir comme ils se portent avec leurs ventres appesantis, sans pouvoir marcher, sans pouvoir regarder, sans pouvoir parler, sans pouvoir rien faire. S'il leur arrive de sommeiller, voilà qu'ils ont des songes extravagants, qu'ils voient des chimères, de folles apparitions partout. Comment parler encore d'un autre délire de ces voluptueux, de là luxure qui les brûle ? Encore une démence qui découle des mêmes sources : comme des étalons que leur chaleur transporte, stimulés par l'aiguillon de l'ivresse, ces libertins se ruent sur tout ce qu'ils rencontrent, et c'est une dégradation, une fureur que les animaux mêmes n'égalent pas; et ce sont des infamies que la parole ne saurait vouloir raconter. Ils n'ont conscience ni de ce qu'ils supportent, ni de ce qu'ils font.
Mais l'homme étranger aux plaisirs, n'est pas sur ce modèle : du port où. il est assis, il voit les naufrages, il jouit d'un plaisir pur et qui lui suffit, il mène la vie qui convient à un être libre. Pénétrés de ces vérités, fuyons donc les banquets criminels des hommes livrés à la délicatesse, aux plaisirs déréglés, attachons-nous à la table où règne la frugalité, afin que, dans les bonnes dispositions de l'âme et du corps, nous pratiquions toutes les vertus, et que nous puissions obtenir les biens de la vie future, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père , comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
