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Je ne prétends point dire par là que la richesse soit un péché; mais le péché est de ne la pas distribuer aux pauvres et d'en faire mauvais usage. Dieu n'a rien créé de mauvais; tout ce qu'il a fait est bon ; les richesses. sont donc aussi un bien, à condition qu'elles ne domineront point ceux qui les possèdent, et qu'elles feront disparaître la pauvreté du prochain. La lumière qui ne dissipe pas les ténèbres , mais les augmente , n'est pas bonne ; je n'appellerai pas non plus bonnes les richesses qui augmentent la pauvreté au lieu de la détruire. Le riche ne cherche pas- à recevoir, mais à donner ; s'il demande, il n'est plus riche, mais pauvre. Les richesses ne sont donc point un mal ; mais le mal c'est cette étroitesse d'esprit qui transforme la richesse en pauvreté. Ces sortes de riches sont plus malheureux que ceux qui mendient dans les rues, que les aveugles et les estropiés; ces hommes somptueusement vêtus de soie sont au-dessous du pauvre couvert de mauvais baillons; ces mortels qui s'avancent fièrement sur. la plage publique sont plus à plaindre que les mendiants qui hantent les carrefours, entrent dans les cours, et crient, et demandent l'aumône d'en bas. Car ceux-ci louent Dieu et profèrent des paroles propres à exciter la pitié et pleines de sagesse; aussi-en avons-nous compassion et leur tendons-nous la main sans jamais les accuser. Mais les mauvais riches tiennent le langage de la cruauté, de l'inhumanité, de la rapine et d'une convoitise satanique ; aussi sont-ils odieux et ridicules aux yeux de tout le monde. Dites-moi un peu : lequel paraît honteux chez tous les hommes de demander aux riches, ou d8 demander aux pauvres ? Aux pauvres,.évidemment. Eh bien ! c'est ce que font les riches; car ils n'oseraient s'adresser à de plus riches qu'eux. Or ceux qui mendient, demandent aux riches : le mendiant demande au riche et non au mendiant; mais le riche violente le pauvre.
Autre question : lequel est le plus honnête , de recevoir de personnes gui donnent volontiers et de bonne grâce, ou d'arracher par force et avec importunité? Evidemment il est plus convenable de. ne point forcer les répugnances. Et pourtant les riches les forcent. Car tandis que les pauvres reçoivent de gens qui leur donnent de bon coeur et librement, tout ce que les riches reçoivent leur est donné à contre-coeur et par contrainte : ce qui est l'indice d'une plus grande pauvreté. Si personne ne voulait s'asseoir à une table, où il ne serait pas vu de bon oeil par celui qui l'aurait. invité, comment serait-il convenable d'extorquer de l'argent par force? N'écartons-nous pas, ne fuyons-nous pas les chiens qui aboient, parce qu'ils nous fatiguent par leur importunité? Ainsi font les riches. Mais, dira-t-on, il vaut mieux que la crainte accompagne le don. Et moi je dis qu'il n'y a rien dé plus honteux: c'est le comble du ridicule de tout mettre en mouvement pour obtenir quelque chose. Souvent, par peur, nous avons jeté au chien ce que nous tenions à la main. Lequel, dites-moi, est le plus. honteux de mendier en haillons ou en habits de soie? Quel pardon mérite le riche qui flatte de vieux pauvres pour en obtenir ce qu'ils possèdent, bien qu'ils aient des enfants? Si vous voulez encore; examinons les paroles que prononcent les riches et les pauvres quand ils mendient. Que dit le pauvre? Que celui qui donne l'aumône ne doit pas donner avec parcimonie, parce que ce qu'il donne vient de Dieu, et que Dieu est bon et lui en rendra davantage : langage plein de sagesse et qui renferme une exhortation et un (384) conseil. Il vous prie, en effet, de lever les yeux vers le Seigneur, et il vous ôte la crainte de la pauvreté pour l'avenir: on peut voir un grand enseignement dans les paroles des mendiants.
Que disent les riches, au contraire? Ils parlent comme des pourceaux , des chiens, des loups et des autres bêtes sauvages. Les uns parlent de tables, de mets, d'assaisonnements, devins de toute espèce, de parfums, de vêtements, de tout ce qui concerne les folies du luxe; les autres parlent d'usures et de prêts ; et, fabricant des billets où les dettes sont portées à un chiffre monstrueux, et qui sont supposés dater des pères et des grands-pères, ils prennent à l'un sa maison , à l'autre son champ, à cet autre son esclave et tout ce qu'il possède. Et que dire de ces testaments écrits avec du sang plutôt qu'avec de l'encre? Au moyen de terreurs paniques ou de quelques légères promesses, ils déterminent de petits propriétaires à les choisir pour héritiers, au détriment de proches souvent accablés par la pauvreté. Cette fureur, cette cruauté, ne dépassent-elles pas celles des bêtes féroces ? Je vous en prie donc, fuyons de telles richesses, source de honte et de meurtre ; acquérons les richesses spirituelles, cherchons les trésors qui sont dans le ciel. Ceux qui les possèdent sont certainement riches ; ils vivent dans l'abondance, ils jouissent des biens de la terre et de ceux du ciel. En effet, celui qui veut être pauvre selon Dieu, voit toutes les portes s'ouvrir devant lui. Chacun donne à celui qui, par amour pour Dieu, ne possède rien; mais celui qui veut acquérir même peu de chose au prix de l'injustice, se ferme toutes les portes. Afin donc d'obtenir les richesses de ce monde et celles de l'autre, choisissons la richesse solide et immortelle. Puissions-nous y parvenir tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours; et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
