3.
Que veut-il dire encore? Sous la Loi, celui qui pèche, reçoit un châtiment; dans le Nouveau- Testament, le pécheur s'avance, reçoit le baptême, et il est justifié; une fois justifié, il vit : car il est soustrait à la mort du péché. La loi punit de mort celui qui est convaincu, d'homicide; la grâce au contraire l'éclaire et le vivifie. Que dis-je? un homicide? Ne suffisait-il pas de ramasser un peu de bois le jour du sabbat pour être lapidé? C'est pourquoi l'apôtre dit-: « La lettre tue ». Que d'homicides, que de voleurs la grâce n'a-t-elle pas accueillis ! une fois baptisés, ils ont été délivrés de leurs crimes. Ainsi donc : « l'Esprit vivifie ». La Loi surprend un homme dans le péché, elle le trouve vivant, elle lui donne la mort; la grâce vient trouver le coupable; il (44) est plongé dans la mort; elle lui rend la vie. « Venez, dit-elle, venez à moi; vous tous qui êtes fatigués et accablés sous le faix» ; et elle n'ajoute pas : je vous tourmenterai, mais, « je vous soulagerai ». (Matth. XI, 28.) En effet le baptême ensevelit les péchés, fait disparaître le passé, donne la vie à l'homme, et imprime toute espèce de grâces dans son coeur, comme sur une table. Voyez donc, je vous prie, quelle est la dignité de l'Esprit-Saint; puisque les tables qu'il grave valent mieux qua les anciennes, et puisqu'il produit une oeuvre meilleure que la résurrection. Car la mort dont il délivre est pire que la première; il y a entre ces deux morts la même différence qu'entre l'âme et le corps; car c'est la vie de l'âme que donne le Saint-Esprit. Or si l'Esprit-Saint peut donner une telle vie, à plus forte raison peut-il en donner une moindre. Les prophètes ont pu rendre la Vie du corps, mais ils n'ont pu rendre la vie à l'âme. Personne ne peut remettre les péchés, excepté Dieu: Et encore, cette vie temporelle, les prophètes ne pouvaient la rétablir sans le secours de l'Esprit-Saint.
Ce n'est pas seulement en ce qu'il vivifie, que l'Esprit-Saint est digne de notre admiration; mais aussi en ce qu'il communique à d'autres cette puissance. « Recevez le Saint-Esprit », dit le Sauveur. Pourquoi? Est-ce qu'il ne pouvait conférer ce pouvoir, sans nommer le Saint-Esprit.? Assurément; mais Dieu se sert de ces paroles pour montrer que l'Esprit-Saint a en partage l'essence divine et la puissance suprême, et que sa dignité égale celle des autres personnes. Aussi Jésus-Christ ajoute-t-il : « Ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ». (Jean, XX, 22.) Puisque nous avons recouvré la vie; conservons-la toujours, et ne nous replongeons point dans la mort : « Car le Christ ne meurt plus » . (Rom. VI, 10.) Il est mort, mais une fois seulement, à cause de nos péchés, et il ne veut pas que nous soyons sans cesse ramenés au salut par la grâce. Autrement nous n'aurions aucun mérite; et c'est pourquoi il veut que nous fassions quelque chose de notre côté. Travaillons donc et efforçons-nous de maintenir notre âme dans la vie. Or qu'est-ce que la vie de l'âme? Vous pouvez en juger par celle du corps. On dit que le corps a de la vie, quand il s'avance d'un pas ferme et qui annonce la santé. Lorsqu'il tombe en défaillance; lorsqu'il se meut péniblement, mieux vaudrait pour lui la mort que ce reste de mouvement et de vie. Ou bien encore, s'il ne dit rien de. sensé, si toutes ses paroles sont déraisonnables, si ses yeux le trompent, mieux vaudrait qu'il fût mort.
De même une âme qui se porte mal, a beau sembler vivante; elle est morte. Quand l'or lui paraît, non plus de l'or, mais quelque chose de grand et de précieux, quand .elle ne se préoccupe plus de la vie future, quand elle rampe à terre, quand elle fait le contraire de ce qu'elle devra faire, elle est morte. Et d'où savons-nous que nous avons une âme? N'est-ce point par ses actes? Si donc elle cesse de remplir ses fonctions, elle est morte. Ainsi; quand, loin de s'appliquer à la vertu, elle prend la bien d'autrui, elle se plonge dans le vice, comment pourrait-on dire qu'elle vit encore? Vous marchez, il est vrai; hais les animaux marchent aussi. Vous mangez et vous buvez; mais les animaux en font autant. Votre corps est debout, et il se soutient sur deux pieds. Cela me prouvé que vous êtes un animal revêtu d'une forme humaine. En tout le reste vous ressemblez à l'animal; vous n' en différez qu'en ce que votre corps est droit; c'est là ce qui me trouble et m'épouvante : je crois avoir un monstre sous les yeux. Eh quoi! Si je voyais un animal qui parle à la manière des hommes, dirais-je que cet animal est homme? Non, je dirais que c'est un animal plus merveilleux que les autres. Comment croirais-je que vous avez une âme humaine, quand je vous vois lancer des ruades, comme les ânes; avoir de la rancune, comme les chameaux; vivre de rapines, comme les loups; mordre, comme les ours; voler, comme les renards; aussi fourbes et rusés que,les serpents, aussi impudents que les chiens? Comment, dis-je, pourrais-je croire que vous avez une âme? Voulez-vous que je vous montre une âme -plongée dans la mort, et une âme qui a la vie? Reportons-nous aux personnages de l'antiquité. Faisons paraître ce riche qui vivait au temps de Lazare, et nous comprendrons alors ce que c'est que la mort de l'âme. L'âme de ce riche était morte, et ses actions nous le montrent clairement. Elle ne faisait rien de ce que l'âme doit faire; elle mangeait, elle buvait, elle se livrait au plaisir.
Ils ressemblent a ce riche, ceux, qui sont sans entrailles et sans pitié ; eux aussi, leur âme est plongée dans la mort. Elle a perdu (45) toute cette chaleur que produit l'amour du prochain; elle est. plus morte qu'un cadavre. Voyez au contraire le pauvre Lazare ; il se retranche dans la citadelle de la Sagesse, et il brille de l'éclat le plus vif; la faim le dévore, il n'a pas même le nécessaire, et cependant, loin de blasphémer contre Dieu, il supporte ses maux avec courage. Voilà l'énergie de l'âme; voilà le signe de la force et de la santé. Quand cela manque, n'est-il pas évident que l'âme est morte? N'est-elle. pas morte, cette âme que le diable envahit; qu'il frappe, qu'il perce, qu'il dévore, sans qu'elle sente aucune douleur, sans qu'elle se plaigne, lors même. qu'on lui enlève ses forces? Le démon s'élance sur elle, elle demeure immobile, elle reste insensible comme un cadavre. Voilà ce qu'elle est nécessairement, dès qu'elle a perdu la crainte de Dieu, dès qu'elle s'est laissée aller à la négligence : son état est plus déplorable que celui des morts. Elle ne se corrompt point sans doute, elle ne tombe pas en poussière comme le corps, mais elle se plonge: dans l'ivrognerie, dans l’avarice, dans de coupables amours, dans les passions les plus funestes. Quoi de plus horrible?
Si vous voulez voir tout ce qu'il y a d'affreux dans A état, donnez-moi une âme pure, et alors vous pourrez voir clairement combien est hideuse une âme impure. Non, maintenant vous ne pouvez pas vous en faire une idée exacte; car, tant que nous sommes. habitués à une mauvaise odeur, mous ne sentons pas tout te qu'elle a de détestable. C'est après nous être nourris de paroles spirituelles, que nous reconnaissons toute l'étendue du mal, lors même que plusieurs le voient avec indifférence. Je ne parle pas encore de l'enfer. Mais, si vous le voulez, bornons-nous à la vie présente, ne parlons pas même de celui qui commet de honteuses actions, considérons seulement celui qui tient de honteux discours; voyez combien il est ridicule, comme il s'outrage lui-même, semblable à cet homme dont la bouche vomit l'ordure et qui ainsi souille ses propres vêtements. Si ce qui jaillit de sa bouche est impur, quelle n'est pas l'infection de la source elle-même? « La bouche parle de l'abondance du coeur ». (Matth. XII, 34.) Ce que je déplore, ce n'est pas seulement ce mot en lui-même, mais c'est l'indifférence de tant ale chrétiens qui n'en aperçoivent point la turpitude. Voilà ce qui multiplie le mal outre mesure; c'est que l'on pèche, sans se douter que l'on souille sa conscience.
Voulez-vous donc savoir quel est le crime de ceux qui tiennent des discours honteux? Voyez rougit de vos propos obscènes ceux qui les entendent. Quoi de plus vil, quoi de plus méprisable qu'un homme tenant de mauvais discours? Il se met lui-même au rang des histrions et des femmes de mauvaise vie. Que dis-je ? Ils ont plus de pudeur que vous; comment pouvez-vous former votre épouse à la sagesse, quand par vos discours vous l'excitez à la débauche? Mieux vaudrait vomir du pus que prononcer un mot obscène. Si votre bouche sent mauvais, on ne vous admettra pas à un ,festin; et quand votre âme exhale une odeur si infecte, vous osez participer aux sacrés mystères ! Si quelqu'un venait Placer sur votre table un vase infect, vous prendriez un bâton pour le chasser. Dieu est présent sur cette table qu'il a tonnée, (car sa table, c'est notre bouche toute remplie de grâces,) et vous proférez des paroles plus impures que le vase le plus infect, et vous ne craignez pas de l'irriter ! Comment ne s'indignerait-il pas? lui qui est la sainteté, la pureté même; rien ne l'irrite autant que de telles paroles. Rien .non plus ne donne autant d'impudence et de témérité; que ces paroles proférées ou entendues. Rien ne rompt les nerfs de la pudeur autant que la flamme allumée par ces discours. Dieu a déposé un parfum sur vos lèvres; vous lui substituez des paroles plus fétides qu'un cadavre; vous tuez votre,âme, vous la frappez d'immobilité.
Quand vous injuriez quelqu'un, c'est le fait, non de votre âme, mais de la colère ; quand vous prononcez des mots obscènes., ce n'est point votre âme qui parle, c'est la passion ; si vous commettez des médisances, elles ont l'envie pour principe ; si vous dressez des embûches, ce n'est point votre âme qui agit, c'est l'ambition. Rien de tout cela n'est son oeuvre, c'est l'oeuvre des passions et des maladies qu'elle renferme. De même que la corruption n'est point l'œuvre du corps, mais bien de la mort et de, la souffrance qui agissent sur le corps, de même aussi ces désordres résultent des passions qui sont dans l'âme. Si vous voulez entendre la voix d'une âme vivante, écoutez saint Paul, quand il dit : « Pourvu que nous ayons des aliments et de quoi nous vêtir, nous sommes contents » ; et encore : « La piété est un gain considérable ». (Tim. V, 6-8.) (46) Et ensuite : « Le monde est crucifié pour moi, et moi, pour le monde ». (Gal. VI,14.) Ecoutez saint Pierre : « Je n'ai ni or ni argent; mais ce que j'ai, je te le donne ». (Act. III, 6.) Ecoutez Job rendant grâces et disant : « Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté ». (Job, I, 21.) Voilà le langage d'une âme pleine de vie, d'une âme qui déploie sa vigueur. Ainsi Jacob disait à son tour: « Je ne demande à Dieu que du pain pour me nourrir, et des habits pour me couvrir ». (Gen. XXVIII , 20.) Et Joseph : « Comment me rendrais-je à tes séductions et ferais-je le mal en présence du Seigneur ? » (Gen. XXXIX, 9.) Ce n'est pas ainsi que parlait l'Egyptienne; mais enivrée de passions, et comme au délire, elle disait: « Viens dormir avec moi ». Maintenant que nous sommes instruits, imitons les âmes vivantes, fuyons cette âme plongée dans la mort, afin d'obtenir un jour la vie éternelle. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit au Père, en même temps qu'au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.