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Ainsi donc, plus on sera haut placé dans ce monde, plus on aura besoin de cette éducation. Né dans le palais des rois, on s'y verra entouré de païens, de philosophes, hommes enflés de gloire mondaine, comme dans un lieu rempli d'hydropiques. Tels sont les cours : on n'y trouve qu'orgueil et vanité; qui n'a pas ces vices, s'efforce de les acquérir. Représentez-vous votre fils entrant dans ce séjour, muni, comme un excellent médecin, de tous les instruments propres à guérir la fièvre générale, s'approchant de chacun, s'entretenant avec lui, et guérissant sa maladie au moyen du contre-poison des Ecritures, et du langage de la vraie sagesse. Car, en ce qui regarde le moine, à qui parlera-t-il? Aux murs, aux toits? au désert, aux forêts? aux oiseaux, aux arbres? Une telle éducation n'est donc pas absolument indispensable au solitaire : néanmoins il tâche de se la donner, non pour la communiquer aux autres, mais dans son propre intérêt. Ce sont donc les gens du monde qui en ont particulièrement besoin : en effet, ce sont eux qui sont le plus exposés au péché. De plus, si vous voulez le savoir, dans le monde même, une telle science sera très-avantageuse à votre enfant. Car tous le respecteront après l'avoir entendu parler de la sorte, lorsqu'ils le (552) verront traverser le feu sans se brûler, et rester insensible à l'ambition : alors cette autorité qu'il ne désire point viendra le trouver, et le roi aura une grande déférence pour lui. Un homme pareil ne peut échapper aux regards. Parmi des gens en santé, l'homme sain peut demeurer caché aux yeux; mais qu'il soit entouré de malades, la renommée ne peut manquer de porter son nom jusqu'aux oreilles du roi, qui chargera cet homme rare d'un vaste gouvernement.
Instruits de ces vérités, élevez vos enfants dans la discipline et la correction du Seigneur. Mais un tel est pauvre? Eh bien ! qu'il reste pauvre : il ne sera pas inférieur pour cela aux habitants des palais : on l'admirera, sans qu'il soit le convive des rois, et bientôt il parviendra à cette dignité que le libre arbitre confère, et non l'élection. Si des hommes qui ne valent pas trois oboles, des cyniques, professant une philosophie qui ne vaut pas davantage (je parle de la philosophie des païens), ou plutôt en affichant le nom, font rentrer bien des gens en eux-mêmes , avec leur grossier manteau, et leur chevelure inculte, que sera-ce du philosophe véritable? Si une vaine apparence, si une ombre de philosophie possède un tel pouvoir, qu'adviendra-t-il, du moment que nous aurons embrassé la vraie, la pure philosophie? Ne serons-nous pas les objets du respect général? Ne nous confiera-t-on pas avec pleine sécurité biens, femmes, enfants? Mais il n'y a pas, non, il n'y a pas aujourd'hui de philosophe pareil : c'est donc en vain que nous chercherions quelque part un exemple. Il en est parmi les moines, il n'en est pas dans le monde. Qu'il y en a parmi les solitaires, j'en pourrais produire de nombreuses preuves : je me bornerai à vous en fournir une.
Vous connaissez sans doute, ou de vue, ou, tout au moins, par ouï-dire, l'homme dont je veux parler : l'admirable Julien. C'était un paysan, de basse naissance, de basse condition; absolument étranger aux études profanes, mais tout rempli de la philosophie véritable. Quand il entrait dans les villes, ce qui arrivait rarement, l'affluence était plus grande que s'il se fût agi d'un rhéteur, d'un sophiste, de quelque personnage que ce fût. Mais que dis-je? son nom même n'est-il pas encore aujourd'hui plus glorieux que celui du plus illustre monarque? Eh bien ! si l'on voit de pareilles choses dans ce monde, dans ce monde où le Seigneur ne nous a promis aucun bien, où il nous a proclamés étrangers, songeons quelles sont aux cieux les récompenses réservées à de pareils hommes. S'ils obtiennent tant d'honneurs dans un séjour qu'ils ne font que traverser, de quelle gloire ne jouiront-ils pas dans leur patrie? S'ils rencontrent tant de vénération aux lieux où la tribulation leur est promise, quel repos ne goûteront-ils pas là où les vrais honneurs leur sont promis? Vous voulez maintenant que je vous cite des mondains? Mais, à l'heure qu'il est, les exemples nous font défaut : non qu'il manque absolument de mondains vivant honnêtement; mais aucun n'a atteint le faîte de la sagesse. Je vous renverrai donc aux exemples donnés par les saints de l'ancien temps. Combien d'hommes ayant femmes et enfants ont égalé ceux que je vous cite ! Mais il n'en est plus ainsi « à cause de la détresse présente », comme dit notre saint. Qui voulez-vous donc que je vous nomme? Noé, ou Abraham ? le fils du premier, ou celui du second? ou encore Joseph? Ou bien voulez-vous que je passe aux prophètes? à Moïse? à Isaïe?
