3.
Ici toutefois que nul ne perde espoir ; les biens éternels ne nous sont point offerts à prix d'argent; non, telle n'est point la monnaie du ciel; le ciel s'achète par notre libre volonté, par le courage viril qui nous fait jeter l'argent même, par la sagesse, par le mépris des choses de la terre, par l'humanité, par l'aumône. Si l'argent payait de tels biens, la veuve qui laissait tomber deux oboles dans le tronc n'aurait pas reçu beaucoup ; mais comme le bon vouloir est la grande puissance et qu'elle apportait tout le désir de son coeur, elle a tout reçu. Ne disons donc jamais que l'or achète le céleste royaume; ce n'est pas l'or, non, mais l'intention, mais la bonne volonté qui se traduit par ce sacrifice d'argent. Mais, direz-vous, encore faut-il être riche? Non, non, la richesse n'est point nécessaire, la bonne volonté suffit. Ayez-la, et avec deux oboles vous pourrez acheter un trône ; sinon, deux mille talents d'or n'auraient pas la vertu de deux oboles. Pourquoi? C'est qu'ayant beaucoup, vous donnez bien peu; l'aumône que vous faites n'atteint pas celle de la pauvre veuve. Moins que la veuve vous avez apporté l'empressement et le bon coeur qui donne. Cette femme s'est dépouillée de tout; que dis-je? non, elle ne s'est pas dépouillée de tout, elle s'est tout donné. Dieu a mis le ciel à prix, non pour vos talents d'or, mais pour une somme de bon vouloir; non pas même pour votre vie, mais pour une généreuse intention. Donner une vie, en effet, qu'est-ce après tout? Ce n'est qu'un homme; et un homme, c'est encore un prix bien inférieur.
« Vous m'avez envoyé deux fois à Thessalonique de quoi satisfaire aux besoins ». Nouvel et grand éloge des Philippiens dont la pauvre cité le nourrissait même pendant son séjour dans la capitale de la province. Remarquez cependant ses paroles. Comme en témoignant toujours qu'il était hors de besoin, il craignait (je l'ai dit déjà) de les rendre moins zélés, après leur avoir montré de tant de manières que personnellement il ne manquait de rien, il a soin de leur rendre ce fait, plus (96 évident encore par un seul mot: « Aux besoins», écrit-il, et. non « à mes besoins », sauvant ainsi la dignité et les bienséances. Et, non content de ce trait, il va poursuivre dans le même sens; il va corriger ce que ses éloges pourraient avoir de trop vil et de trop abaissé.
« Ce n'est pas »,continue-t-il, « que je désire vos dons », suivant l'idée déjà exprimée autrement par lui quand il disait : « Je ne parle pas sous l'empire du besoin ». Ceci est moins fort toutefois que la première manière d'écrire. Autre chose est ne pas chercher ni désirer, quand on est dans le besoin ; autre chose est ne pas même se croire dans le besoin quand réellement on s'y trouve. « Ce n'est pas que je désire vos dons; mais je désire qu'il en revienne, pour votre compte et non pour le mien, un profit considérable ». Voyez-vous comme l'aumône leur amasse des fruits? Je ne parle pas ici, dit-il, dans mon intérêt, mais dans le vôtre et pour votre salut. Je ne gagne rien, moi, en recevant; tout le bien est pour ceux. qui donnent, et non pour ceux qui reçoivent; les premiers ont en réserve une récompense infinie ; les seconds consomment ce qui leur est ainsi donné. Nouvel éloge, mais non sans quelque aveu d'un besoin; car s'il adit: « Je ne désire pas », craignant qu'ils ne se ralentissent, il ajoute : « Maintenant j'ai tout reçu et je suis dans l'abondance », c'est-à-dire, votre aumône a réparé même les oublis précédents. C'est encore une manière certaine d'exciter leur zèle charitable. Il remercie : or, tout bienfaiteur, quand il a fait des progrès dans la sagesse chrétienne, désire d'autant plus trouver chez l'obligé la reconnaissance. « J'ai tout reçu, j'abonde ». C'est comme s'il disait: Non-seulement vous avez réparé les oublis du passé, mais vous avez même comblé la mesure et au delà. Mais ne vont-ils pas voir ici un reproche? Il le prévient parles sages précautions de tout ce passage. En effet, il avait dit : « Ce n'est pas que je désire vos dons », et plus haut : « Enfin, un jour vous avez refleuri », leur montrant ainsi qu'ils acquittaient une dette en retard ; le terme « j'ai reçu » de cette phrase même, rappelle qu'il a touché comme le montant d'une rente, comme les fruits d'un champ. Mais aussitôt il déclare qu'ils ont donné bien au-delà de leur dette : « J'ai tout reçu, j'abonde, je suis rempli de vos biens »; et ce n'est pas à l'aventure, ce n'est pas par excès de tendresse que j'en fais l'aveu; quoi donc? «C'est que j'ai reçu par Epaphrodite ce que vous m'avez envoyé comme une obligation d'agréable odeur, comme une hostie que Dieu accepte volontiers et qui lui est agréable ». Mon Dieu ! à quelle hauteur il élève leur aumône! Ce n'est pas moi qui ai reçu, dit-il, c'est Dieu par moi; aussi quand je n'aurais aucun besoin, n'y regardez pas; Dieu n'avait pas besoin assurément, et pourtant il a reçu; à ce point que la sainte Ecriture n'a pas craint de dire : « Le Seigneur a « respiré in parfum agréable» (Gen. VIII , 2) ; ce qui indique évidemment une joie de Dieu. Vous savez, oh ! vous savez comme notre âme est délicieusement impressionnée par un suave parfum, quelle douceur et quelle volupté elle y trouve. Eh bien ! l'Ecriture sainte n'a pas fait difficulté d'attribuer à Dieu une expression aussi humaine, aussi abaissée, pour faire comprendre aux hommes comment il recevait leurs présents. Car ce n'étaient sans doute ni l'odeur, ni la fumée qui rendaient un sacrifice agréable; mais bien le coeur qui l'offrait; sinon, les dons mêmes de Caïn auraient été agréés. Et toutefois, l'Ecriture atteste cette joie de Dieu; et comment s'expliquer cette joie ? C'est que les hommes ne savent pas comprendre d'autre langage. Aussi l'Etre bienheureux, qui est au-dessus de tout besoin, témoigne de sa joie, de peur que les hommes, sous prétexte que Dieu n'a pas besoin, s'attiédissent dans le devoir. Mais comme dans la suite des temps, oubliant toutes les autres vertus et obligations, ils n'avaient de confiance qu'en ces victimes immolées, Dieu les reprenait sévèrement en ces termes : « Est-ce que je mangerai la chair des taureaux; est-ce que je boirai le sang des boucs? » (Ps. XLIX, 13.) C'est le sens de saint Paul quand il dit : « Je ne cherche pas vos dons ».