3.
Il nous faut donc constamment veiller sur nous-mêmes, pour ne jamais sommeiller. « Car », dit le Prophète, « il ne sommeillera pas, il ne dormira pas, celui qui garde Israël. N'exposez donc pas votre pied à chanceler ». (Ps. CXX, 4.) Il n'a pas dit : Ne soyez pas ébranlés, mais n'exposez pas, ne donnez pas : donner, exposer, cela dépend de nous, à l'exclusion de toute autre puissance. Car si nous voulons nous maintenir fermes, debout, immobiles, nous ne serons pas. ébranlés. Ces paroles du Prophète insinuent ce sens.
Mais quoi ? La puissance même de Dieu n'a-t-elle ici aucune action? — Certainement tout au monde est soumis à la divine puissance, mais de telle sorte que, notre libre arbitre n'en est aucunement, blessé. — Mais alors, si tout dépend de Dieu, direz-vous, pourquoi nous attribue-t-il la faute? — Aussi bien ai-je dit : De telle sorte (507) cependant que notre libre arbitre n'en est point blessé. L'oeuvre dépend donc à la fois et de son pouvoir et de notre pouvoir. Il faut, en effet, que nous choisissions d'abord le bien, et après notre choix fait, Dieu apporte son concours. Il ne prévient pas nos volontés, pour ne pas anéantir notre liberté. Mais quand nous avons choisi, aussitôt il nous apporte un secours abondant.
Comment donc alors, si tel est notre pouvoir, Paul affirme-t-il que « cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui « fait miséricorde ? » (Rom. IX, 16.) — Je réponds d'abord que saint Paul ne donne pas ici son sentiment personnel, mais il conclut d'après le but qu'il se propose et d'après les prémisses qu'il a posées. Il vient de dire : « Il est écrit : Je ferai miséricorde à qui il me plaira de faire miséricorde, et j'aurai pitié de celui de qui il me plaira d'avoir pitié » ; il conclut : « Cela ne dépend donc ni de celui qui veut, ni de celui qui court ; mais de Dieu qui fait miséricorde ». — Pourquoi donc alors Dieu nous blàme-t-i1, objecterez-vous?
C'est qu'il est permis de dire du principal auteur d'une couvre qu'il a fait l'oeuvre tout entière. Oui, le premier choix, la volonté est notre fait à nous. Parfaire et conduire l'oeuvre à sa fin, est la part de Dieu. Or, comme cette part, qui est de beaucoup la plus importante, se trouve être la sienne, Paul lui attribue tout, et en cela il se conforme à. nos idées et à notre langage humain; nous ne faisons pas autrement, en effet. Par exemple, nous voyons un édifice admirablement construit, nous le rapportons en entier à l'architecte, et cependant la construction n'est pas entièrement de lui, mais des ouvriers aussi, mais du propriétaire qui fournit les matériaux, mais d'une foule d'autres agents. Mais comme l'architecte a plus contribué que personne, nous le disons auteur du tout. C'est ce qui arrive ici. — De même encore, en présence d'une foule où il y a beaucoup de monde, nous disons Tout le monde est là; et s'il y a peu de monde, nous disons qu'on ne voit personne. C'est ainsi que Paul a dit dans ce passage : « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court; mais de Dieu, qui fait miséricorde ». II nous donne ainsi deux grandes et magnifiques leçons. La première, que nous ne devons pas nous enorgueillir de nos bonnes oeuvres;.la seconde, qu'il convient d'attribuer à Dieu la cause de nos saintes actions. Malgré votre course empressée, dit-il, malgré le zèle que vous déployez, ne regardez pas comme vôtre l'œuvre saintement faite. Car si vous n'obtenez pas le secours d'en-haut, tout est vain. Toutefois, il est évident qu'avec cette aide puissante, vous atteindrez le but de votre effort: mais à la condition que vous saurez et courir et vouloir. L'apôtre ne dit pas : En vain courez-vous! mais : En vain courez-vous, si vous croyez que tout dépend dé votre course, si vous n'attribuez encore plus le, succès à Dieu. Dieu n'a pas voulu que tout fût son couvre à lui seul, pour n'avoir pas l'air de nous couronner au hasard; ni que tout vint de nous, pour ne pas nous exposer à l'orgueil. Car si, lorsque nous n'avons que la moindre part, nous concevons déjà un sentiment d'orgueil, un vain contentement de nous-mêmes, que ne ferions-nous pas si tout était en notre pouvoir ? Dieu a pris toutes les précautions possibles pour prévenir notre orgueil, Et d'ailleurs de combien de faiblesses sa main adorable nous a entourés, pour briser ainsi notre vaine gloire ? De combien de monstres il nous a environnés? Car lorsque bien des gens s'écrient : Pourquoi ceci? A quoi bon cela? ils parlent contre les desseins de Dieu. Il vous a placés au sein de mille terreurs, et malgré cet état, vous n'avez pas encore d'humbles sentiments de vous-mêmes; mais au moindre succès qui vous arrive, votre coeur s'enfle jusqu'au ciel !