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Les Scythes, au contraire, sont ces peuplades dont Hérodote nous raconte et dont nous-mêmes nous voyons la lâcheté. C’est chez eux que de tous côtés on va se fournir d’esclaves errants et sans patrie, ils changent constamment de contrée; de là cette expression passée en proverbe, la solitude des Scythes. Comme l’histoire nous le rapporte, les Cimmériens d’abord, puis d’autres peuples, ensuite des femmes, plus tard nos ancêtres, et enfin les Macédoniens, les ont tour à tour mis en fuite ; renvoyés d’un côté, ils allaient de l’autre, pour être chassés de nouveau: nomades qui ne s’arrêtent que quand l’ennemi qui les poursuit les a poussés sur un autre ennemi. Jadis leurs irruptions subites effrayèrent quelquefois certains peuples, comme les Assyriens, les Mèdes, les Palestins. Mais dans leurs récentes émigrations, quand ils sont venus vers nous, c’est en suppliants, et non en ennemis. Ils trouvaient dans les Romains des hommes qu’il était facile, non pas de vaincre, mais d’émouvoir, et qui devaient se laisser toucher par leurs prières : alors, comme on pouvait s’y attendre, cette nature sauvage commença à s’enhardir et à se montrer ingrate. Aussi ton père s’arma contre eux; punis bientôt, ils vinrent se jeter à ses genoux, priant et gémissant ainsi que leurs femmes. Ton père avait vaincu dans les combats ; il céda à la compassion: il les fit relever; il leur accorda, avec son alliance, une place dans l’Etat, il leur ouvrit l’accès aux honneurs; des terres furent assignées à ces mortels ennemis de l’Empire par un prince que son courage même et sa magnanimité rendaient trop facile. Mais des barbares ne comprennent rien à la vertu: depuis ce temps-là jusqu’aujourd’hui ils n’ont cessé de rire de nous, en songeant au châtiment qu’ils méritaient et à la récompense qu’ils ont reçue. Le bruit de leur fortune a engagé leurs voisins à suivre leurs traces; et voici qu’abandonnant leurs contrées, des hordes de cavaliers armés d’arcs viennent nous demander, à nous qui sommes d’humeur trop faible, que nous les recevions en amis: et leur prétention se justifie par l’accueil que nous avons fait à la dernière des nations. Nous sommes forcés de leur faire, quoiqu’à contre cœur, bonne mine : l’expression est vulgaire; mais le philosophe, pour se faire comprendre, n’est pas difficile sur le choix des mots; il use même de locutions triviales, pourvu qu’elles rendent clairement sa pensée.