11.
« Admire, ô mon fils, la pensée qu’ont exprimée nos pères dans les images sacrées : nous autres, Égyptiens, nous donnons au divin Hermès deux faces : il est tout à la fois jeune et vieux. Si nous pénétrons le sens de ce symbole, cela signifie qu’il faut joindre l’intelligence à la vigueur, et que chacune des deux, privée de l’autre, est inutile. C’est encore cette même association de qualités que représente le sphinx sacré, placé sur le parvis de nos temples, bête par la force, homme par la raison. La force que ne guide pas la sagesse s’emporte, s’égare, jette partout le trouble et le désordre; et l’intelligence ne sert de rien pour l’action, lorsqu’elle est privée du secours des mains. La fortune et la vertu vont rarement ensemble; parfois cependant on les voit réunies chez des natures d’élite: tu en es un exemple. N’importune donc pas les dieux, toi qui peux, si tu le veux, te sauver par tes propres forces; leur dignité ne leur permet pas de quitter à chaque instant leur séjour pour descendre dans un monde étranger et inférieur. Nous manquons au respect qui leur est dû quand nous négligeons d’employer nos facultés à maintenir l’arrangement et l’ordre qu’ils ont établi sur cette terre; car c’est les contraindre à revenir, avant l’époque fixée, s’occuper des choses d’ici-bas. Quand cette harmonie, qui est leur œuvre, s’affaiblit avec les années, ils viennent à son secours; presque expirante, ils la raniment; et c’est avec joie qu’ils s’acquittent de cet office, et apportent à l’univers leur assistance. Quand, par la faute de ceux qui gouvernent, ils voient régner partout le trouble et le désordre, ils viennent encore, si les États ne peuvent être sauvés que par leur intervention. Des choses de médiocre importance, quelque accident qui se produit, ne suffisent point pour mettre la Divinité en mouvement. Il doit être doué d’une vertu tout exceptionnelle l’homme en faveur de qui l’un des esprits bienheureux daignera descendre dans ce monde. Mais quand partout est le désarroi, quand tout menace ruine, alors ils arrivent pour remettre l’ordre dans les affaires humaines. Que les hommes ne se plaignent donc pas des maux qu’ils souffrent par leurs propres fautes; qu’ils n’accusent pas la Divinité de n’avoir pour eux que de l’indifférence. La Providence exige des hommes leur concours. Quoi d’étonnant si dans la région du mal on trouve le mal? Ce qu’il y a de surprenant, c’est de ne pas toujours l’y rencontrer; car le bien est comme un étranger égaré sur cette terre: c’est la Providence qui l’envoie. Si les hommes savent agir et user des ressources qu’elle leur offre, ils peuvent réaliser toutes les conditions de bonheur. La Providence ne ressemble pas à une mère, toujours inquiète et attentive à éloigner tout ce qui peut nuire à son nouveau-né; car, si jeune, l’enfant n’est pas encore capable de se défendre: elle est plutôt semblable à la mère qui donne à son fils adolescent des armes dont il doit se servir pour repousser le danger. Voilà les vérités qu’il faut méditer sans cesse: elles sont dignes, n’en doute pas, de toute l’attention des hommes. Croyant en la Providence, tout en s’aidant eux-mêmes, ils uniront la piété à la vigilance, et ils ne regarderont pas l’intervention de Dieu comme incompatible avec l’exercice de la vertu. Adieu. Réprime, si tu es sage, les entreprises de ton frère; préviens les maux qui menacent de fondre sur les Égyptiens et sur toi : tu le peux; mais si tu te laisses aller à trop d’indulgence et de faiblesse, tu ne dois attendre du ciel qu’un secours tardif. »