16.
Le narrateur auquel j’emprunte cette fable dit qu’il ne prolongera pas le récit de la chute d’Osiris; car le cœur souffre quand on insiste sur des détails affligeants. Des jours de larmes et de deuil, d’institution antique et sacrée, se célèbrent encore de notre temps; et ceux qui ont le droit d’assister aux cérémonies, y voient porter des images qui représentent les personnages de cette histoire.1 Ce que tout le monde peut savoir, c’est que, par dévouement pour son pays, pour la religion, pour les lois, Osiris se livra aux mains de ceux qui menaçaient de tout détruire s’il ne tombait en leur pouvoir; il traversa le fleuve sur une barque; des gardiens devaient le suivre partout, sur terre et sur mer. Les barbares tinrent conseil pour décider de son sort: Typhon demandait qu’on le fit mourir sur-le-champ; mais les barbares, tout en croyant avoir de justes motifs de plainte contre Osiris, estimaient que ce meurtre serait odieux, et gardaient toujours du respect pour sa vertu. Ils se contentèrent donc de l’exiler; encore ne le firent-ils qu’avec un sentiment de honte. Osiris, telle fut leur volonté, s’en alla d’Égypte plutôt qu’il n’en fut banni. Ils lui permirent de conserver tous ses biens, toutes ses richesses, que Typhon leur offrait; ils refusèrent d’y toucher comme à des choses sacrées. Osiris partit, escorté par la Divinité et par des génies bienfaisants; mais il devait revenir au jour marqué par le destin: il n’était pas possible que le mal régnât en Égypte, ni qu’en un instant le trouble et la discorde envahissent toutes les parties de l’État, tant que cette grande âme resterait là présente. Pour parvenir à leurs fins, les démons, dont ces calamités étaient l’œuvre, après s’être ligués contre Osiris, avaient pour ministre le méchant que jadis ils avaient eux-mêmes mis au jour, et qu’ils venaient d’élever à la royauté. Grâce à lui ils se rassasiaient des malheurs publics: Typhon surchargeait les villes d’impôts nouveaux; il inventait des condamnations à l’amende qui n’avaient jamais été prononcées; il en faisait revivre qui, depuis longtemps, étaient prescrites; il exigeait du marin le service du laboureur, et du laboureur le service du marin, afin que personne ne pût vivre satisfait de son sort. Ces injustices étaient bien communes; mais voici d’autres iniquités, tout aussi fréquentes. Typhon envoyait, pour administrer les provinces, des gouverneurs et des préfets qui obtenaient leurs charges à prix d’argent; il leur vendait les populations. Avec une préfecture ainsi achetée, et achetée pour une seule année, l’acquéreur, si jeune qu’il fût, trouvait le moyen d’amasser, dans ce court espace de temps, des ressources pour mener jusque dans la vieillesse une existence prodigue. Sous le règne de Typhon ces marchés étaient la règle : les préfectures étaient livrées, par contrat, pour un temps déterminé, à ceux qui les payaient. Jadis au contraire les vices d’un gouverneur entraînaient sa révocation, tandis que la vertu se voyait récompenser par une dignité plus élevée, par un pouvoir plus étendu et dont la durée se prolongeait. Alors ce ne fut de tous côtés qu’un concert de gémissements; chacun avait des infortunes personnelles à raconter; les provinces et les villes étaient accablées de toute sorte de maux; et de l’Égypte tout entière il ne s’élevait vers le ciel qu’un cri pour attester la douleur universelle. Les dieux avaient pitié de ce peuple et se préparaient à le venger; mais ils voulaient attendre que l’opposition du vice et de la vertu fût mise en pleine lumière, afin que les esprits même les plus grossiers, les plus épais, pussent discerner nettement, par leurs effets contraires, le bien et le mal, pour rechercher l’un et fuir l’autre.
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Sur ces jours de deuil et ces cérémonies on peut consulter le traité de Plutarque sur Isis et sur Osiris. ↩