XVIII - MACAIRE D'ALEXANDRIE
[1] Mais j'ai rencontré l'autre Macaire, l'Alexandrin, qui était prêtre de ce qu'on appelle les Cellules. A ces Cellulles j'ai séjourné neuf ans, et alors pendant trois ans de mon séjour il survécut; et j'ai vu certains faits, j'en ai entendu de lui certains autres, et j'en ai appris par d'autres. Eh bien, son ascèse était celle-ci : S'il a entendu parler de quelque chose quelque part, il l'a certainement réalisé en perfection. En effet, ayant appris de quelques-uns que les Tabennésiotes mangent pendant tout le carême de ce qui n'a pas été soumis au feu, il décida de ne pas manger pendant sept ans de ce qui passe par le feu, et à l'exception de plantes potagères crues, si parfois il s'en trouva, et de légumes à cosses trempés, il ne goûta à rien. [2] Ayant donc réalisé en perfection cette vertu, il apprit encore au sujet d'un autre qu'il mange» une livre de pain; et ayant rompu son biscuit et l'ayant versé dans + des saïtes en poterie +, il résolut de manger autant que sa main retirerait. Et ainsi il racontait en plaisantant ceci précisément : « J'empoignais bien assez de morceaux, mais je ne pouvais pas les extraire tous à la fois par l'effet de l'étroitesse de l'ouverture: car comme un publicain. elle ne mêle permettait pas. » Pendant trois ans il garda donc cette ascèse, mangeant quatre ou cinq onces de pain, et buvant de l'eau en proportion, puis un setier d'huile pour l'année.
[3] Autre ascèse de lui. Il décida de l'emporter sur le sommeil et il raconta qu'il n'entra pas sous un toit pendant vingt jours, afin de vaincre le sommeil, d'une part brûlé par les chaleurs, d'autre part transi la nuit par la froidure. Et ainsi il disait ceci : « Si je n'étais pas entré plus vite sous un toit et n'avais pas usé du sommeil, mon cerveau se fût desséché au point de me pousser désormais en égarement d'esprit. D'un côté en ce qui dépend de moi, j'ai triomphé ; d'un côté, en ce qui dépend de la nature qui a son besoin de sommeil, j'ai cédé. »
[4] Comme il était assis un matin dans sa cellule, un cousin s'étant posé sur son pied le piqua, et ayant ressenti de la douleur, il l'écrasa de la main, après qu'il se fut rassasié de sang. Or s'étant accusé comme s'étant vengé, il se condamna, dans le marais de Scété, qui est au grand désert, à rester assis nu pendant six mois, là où les cousins, qui sont comme des guêpes, percent même des peaux de sangliers. Ainsi donc il fut couvert de blessures partout, et il fit une poussée de papules, en sorte que quelques-uns crurent qu'il avait l'éléphantiasis. Etant alors rentré après six mois dans sa cellule, on reconnut à la voix qu'il était Macaire.
[5] Un jour, il désira pénétrer dans le jardin-tombeau de Janné et Jambré, à ce qu'il nous raconta. Op ce jardin-tombeau venait des magiciens qui furent jadis tout-puissants auprès du Pharaon. Comme ils avaient donc acquis la puissance depuis de longs temps, ils bâtirent leur œuvre en pierres taillées sur quatre faces, ils y firent leur monument et y déposèrent une quantité d'or. Puis, ils plantèrent aussi des arbres, car l'endroit est un peu humide: entre autres même ils creusèrent un puits. [6] Quoi qu'il en soit, comme le saint ignorait le chemin et qu'il suivait les astres par une certaine conjecture, en cheminant à travers le désert comme sur mer, il prit un paquet de roseaux, et, chaque fois à un mille, il se marquait des jalons, afin de trouver son chemin en s'en retournant. Ayant donc continué son chemin, en neuf jours il approcha de l'endroit. Or donc le démon, qui contrecarre toujours les athlètes du Christ, ayant rassemblé tous en tas les roseaux, les lui plaça sous la tète pendant qu'il dormait, à environ un mille du jardin-tombeau. [7] S'étant donc levé il trouva les roseaux, et peut-être Dieu avait permis cela pour l'exercer davantage, afin qu'il ne mît pas son espoir en des roseaux, mais en la colonne de nuée qui guida Israël quarante ans dans le désert. Il disait ceci : « Soixante-dix démons sortirent du jardin-tombeau à ma rencontre, criant, battant des ailes comme des corbeaux contre mon visage et disant : « Que veux-tu, Macaire? que veux-tu, moine? Pourquoi es-tu venu dans le lieu qui est à nous? Tu ne peux rester ici. » Alors, dit-il, je leur dis ceci : « Que j'entre seulement, que je visite, et je pars. » [8] Ayant donc pénétré, dit-il, je trouvai un petit seau d'airain suspendu et une chaîne de fer contre le puits, consumés du reste par le temps, et du fruit de grenades qui ne contenaient rien à l'intérieur à force d'être desséchées par le soleil. » Ainsi donc, s'en étant retourné, il marcha durant vingt jours. Mais l'eau qu'il portait ayant fait défaut, ainsi que les pains, il fut dans une conjoncture très critique. lit comme il était près de s'affaisser, une jeune fille fut aperçue par lui, à ce qu'il raconta, portant une robe de lin immaculée et tenant un bocal d'eau débordant. [9] Il disait qu'elle était loin de lui comme d'un stade et qu'elle chemina pendant trois jours ; il la voyait bien avec son bocal comme arrêtée, mais il ne pouvait l’atteindre, comme dans les songes, et ayant patienté par l'espérance de boire, il avait de la constance. Après elle, apparut une troupe de bubales, dont une femelle ayant un petit s'arrêta; car ils sont fréquents dans ces endroits-là. lit alors il disait que sa mamelle ruisselait de lait. S’étant donc mis dessous et ayant télé, il fut satisfait. Et la bubale vint jusqu'à sa cellule, l'allaitant, lui, mais ne recevant pas son tout petit.
[10] Une autre fois encore creusant un puits près de rejetons de sarments, il fut mordu par un aspic; or l'animal est capable de causer la mort. L'ayant alors saisi de ses deux mains et l'ayant maîtrisé par les mâchoires, il le mit en pièces en disant : « Dieu ne l'ayant pas envoyé, comment as-tu osé venir? »
Or il avait des collas différentes dans le désert, une en Scété, le grand désert plus intérieur, une à Lips, une dans ce qu'on appelle les Cellules et une sur la montagne de Nitrie. Quelques-unes d'entre elles sont sans fenêtre, où, disait-on, il résidait le carême dans l'obscurité ; une plus étroite, où il n'avait pas le moyen d'étendre les pieds; puis une autre, plus large, où il se rencontrait avec ceux qui venaient fréquemment à lui.
[11] Il guérit une si grande quantité de possédés du démon que cela n'est pas susceptible d'être compté. Cependant, nous étant là, il fut apporté de Thessalonique une jeune fille noble, ayant plusieurs années de paralysie. En la frottant de ses mains avec de l'huile sainte pendant vingt jours et en y ajoutant des prières, il la renvoya en santé dans sa propre ville. Quand elle s'en fut retournée, elle lui envoya des générosités considérables.
[12] Ayant entendu dire que les Tabennésiotes ont une magnifique règle de vie, il changea de vêtements et, ayant pris l'habit séculier d'un ouvrier, il monta en quinze jours à la Thébaïde en cheminant à travers le désert. Et étant venu dans le lieu d'ascèse des Tabennésiotes, il demandait leur archimandrite, du nom de Pakhôme, homme très expérimente et ayant un don de prophétie, mais à qui ne fut pas révélé ce qui concernait Macaire. S'étant donc trouvé en sa présence, il dit : « Je te prie, reçois-moi dans ton monastère, pour que je devienne moine. » [13] Pakhôme lui dit : « Désormais tu l'es mis en marche sur la vieillesse, et tu ne peux être ascète. Les frères sont des ascètes, et tu ne supportes pas leurs labeurs, et tu le scandalises et tu sors en les maudissant. » Et il ne le reçut ni le premier ni le deuxième (jour), jusqu'au bout de sept jours. Mais comme il eut de la constance, demeurant à jeun, ensuite il lui dit : « Reçois-moi, abbé, et s'il arrive que je ne jeûne pas d'une manière conforme à eux ni que je travaille, ordonne que je sois jeté dehors. » Il persuade aux frères de l'accepter, et la communauté de la seule résidence est de mille quatre cents hommes jusqu'aujourd'hui. [14] Il entra donc. Puis un peu de temps ayant passé, se présenta le carême et il vit chacun pratiquant des observances différentes, l'un mangeant le soir, l'autre au bout de deux jours, l'autre au bout de cinq, un autre encore restant debout durant toute nuit, mais s'asseyant dans le jour. Alors ayant fait tremper des feuilles de palmier en quantité, il se tint debout dans un coin, et jusqu'à ce que les quarante jours fussent achevés et que Pâques fût arrivé, il ne loucha pas à du pain ni à de l'eau; il ne fléchit pas un genou et ne se coucha pas; hormis quelques feuilles de chou, il ne prenait rien, et cela le dimanche, afin qu'il eût l'air de manger. [15] Et si parfois il sortait pour ses besoins, entrant de nouveau plus vite, il se replaçait, n'ayant causé à personne, n'ayant pas ouvert la bouche, mais se tenant debout en silence. Et à part une prière, celle qui est dans le cœur, et les feuilles qu'il avait dans les mains, il ne faisait rien. Aussi tous les ascètes l'ayant vu, prirent parti contre l’hégoumène en disant : « D'où nous as-tu amené ce sans-corps, pour notre condamnation? Ou bien chasse-le, ou bien c'est pour que lu saches que tous nous nous retirons. » Alors, après avoir appris les détails de son observance, il pria Dieu afin qu'il lui fût révélé qui c'était. [16] Cela lui fut donc révélé. Et l'ayant pris par la main, il l'amène dans la maison de prière où était l'autel, et il lui dit : « Allons, beau vieillard! Tu es Macaire et tu t'es caché de moi. Pendant beaucoup d'années j'aspirais à te voir. Je t'ai de la reconnaissance pour avoir fait sentir ta poigne à mes petits enfants, afin qu'ils n'aient pas des pensées de superbe à propos de leurs ascèses. Va-t'en donc dans ton pays, car tu nous as suffisamment édifiés, et prie pour nous. » Alors, sur cette invitation, il se retira.
[17] Une autre fois encore, il nous raconta ceci : « Ayant réalisé en perfection chaque genre de vie que j'ai désiré, alors j'en vins à un autre désir par suite duquel je voulus une fois rendre, pendant cinq jours seulement, mon esprit sans distraction d'avec Dieu. Et ayant décidé cela, je fermai la cella et la clôture, pour ne pas donner de réponse à un homme, et je me tins debout ayant commencé dès la deuxième heure.
Je commande donc à mon esprit en disant : « Ne descends pas des cieux : tu as là des anges, des archanges, les puissances d'en haut, le Dieu de l'univers ; ne descends pas au-dessous du ciel. » [18] Et ayant duré deux jours et deux nuits, j'irritai tellement le démon qu'il devint une flamme de feu et brûla toutes les choses de la cellule, en sorte que même une petite natte de jonc sur laquelle je m'étais placé, fut consumée par le feu. et que moi, je pensai être brûlé entièrement. Enfin frappé de crainte, je me désistai le troisième jour, n'ayant pu rendre mon esprit sans distraction, mais je descendis à la contemplation du monde, afin que la vanité ne me fût point imputée. »
[19] Un jour je me rendis auprès de ce saint Macaire, et je trouvai étendu hors de sa cella un prêtre de village, dont la tête avait été mangée par l'affection appelée cancer, et l'os même était visible depuis le sommet. Il se présenta donc pour être guéri, et lui, ne l'admettait pas à un entretien. Alors je l'invoquai ainsi: « Je t'en prie, daigne avoir pitié de lui et donne-lui sa réponse. » [20] Et il me dit : « Il est indigne d'être guéri, car une leçon lui a été envoyée. Mais si tu veux qu'il soit guéri, persuade-le de s'abstenir du service liturgique. En effet il exerçait le ministère, étant fornicateur, et à cause de cela il reçoit une leçon, et Dieu le met en traitement. » Donc, lorsque je l'eus dit au maltraité, il s'y conforma, et jura de ne plus faire les fonctions de prêtre. Alors il le reçut et lui dit : « Crois-tu qu'il y a un Dieu? » Il lui dit : « Oui. » [21] «N'as-tu pas pu te jouer de Dieu? » Il répondit ceci : « Non. » Il lui dit : « Si tu reconnais ton péché et la leçon de Dieu en vertu de laquelle tu as subi cela, corrige-toi pour la suite. » Il confessa donc le grief et donna sa parole de ne plus pécher ni d'exercer le ministère, mais d'embrasser la condition laïque. Et de la sorte, il lui imposa la main, et en peu de jours il fut guéri, il se garnit de cheveux et s'en alla en santé.
[22] Sous mes yeux il lui fut apporté un petit garçon travaillé par un malin esprit. Cela étant, lui ayant mis une main sur la tête et l'autre sur le cœur, il pria autant qu'il fallut jusqu'à ce qu'il le fit tenir suspendu en l'air. Or l'enfant, ayant enflé comme une outre, fut tellement brûlant qu'il devint + tout ridé sur la peau +. Et soudain s'étant mis à crier, il évacua de l'eau par tous les sens, et s'étant calmé il devint de nouveau à la dimension qu'il était. Il le rend donc à son père, après l'avoir frotté d'huile sainte et lui avoir versé de l'eau. Il lui enjoignit pendant quarante jours de ne pas toucher à de la viande ni à du vin. Et de la sorte il le guérit.
[23] Un jour des pensées de vaine gloire l'importunèrent, le chassant de sa cella et lui suggérant comme une grâce de dispensation (divine) d'atteindre la (ville) des Romains pour le service des infirmes : car la grâce agissait puissamment sur lui contre des esprits. Et comme pendant longtemps il n'y obéit pas, mais qu'il était fort ébranlé, étant tombé sur le seuil de la cella, il envoya les pieds vers le dehors et il dit : « Démons, tirez, traînez, car je ne m'en vais pas avec mes pieds à moi. Si vous pouvez m'emporter dans ces conditions, je partirai. » Il leur jure ceci : « Je reste étendu jusqu'au soir; si vous n'arrivez pas à me secouer, il n'y a pas de crainte que je vous écoute. » [24] Or étant tombé pendant longtemps, il se leva. Puis la nuit étant survenue, de nouveau ils se mirent après lui. Et ayant rempli de sable une corbeille de deux boisseaux et l'ayant mise sur ses épaules, il se remuait à travers le désert. Cela étant. Théosèbe Cosmétor, Antiochien d'origine, le rencontra et il lui dit : « Que portes-tu. abbé? Cède-moi ton fardeau et ne t'écorche pas. » Or il lui dit : « J'écorche celui qui m'écorche; car n'étant pas contenu, il m'inspire des déplacements. » Donc après s'être remué pendant longtemps, il entra dans sa cella, ayant brisé son corps.
[25] Ce saint Macaire nous raconta ceci, car il était prêtre : « J'ai remarqué au moment de la distribution des mystères que moi je n'ai jamais donné d'oblation à Marc l'ascète, mais un ange la lui donnait depuis l'autel. Et je voyais seulement l'ossature de la main de celui qui donnait. » Or ce Marc était plus jeune, sachant par cœur l'Ecriture ancienne et nouvelle, doux à l'extrême et réservé, si quelqu'un le fut jamais.
[26] Quoi qu'il en soit, un jour que j'avais du bon temps, sur la fin de la vieillesse de Macaire, je pars et je m'assois à sa porte, l'ayant cru au-dessus d'un homme, attendu qu'il était ancien, et je prête l'oreille à ce qu'il dit ou à ce qu'il fait. Et étant tout seul à l'intérieur, arrivé vers les cent ans déjà et ayant perdu ses dents, il luttait contre lui-même et contre le diable, et disait en s'injuriant lui-même : « Que veux-tu, mauvais vieillard? Voilà que tu as touché à de l'huile et que tu as pris une part de vin. Que veux-tu désormais, goinfre aux cheveux blancs? » Puis aussi au diable : « Est-ce qu'en ce moment même je te suis redevable de quelque chose? Tu ne trouves rien; va-t'en loin de moi. » Et. comme en fredonnant, il se disait à lui-même : « Ici, goinfre aux cheveux blancs; jusques à quand donc serai-je avec toi? »
[27] Puis Paphnuce, son disciple, nous racontait qu'un jour une hyène, ayant pris son petit qui était aveugle, l'apporta à Macaire, et, ayant heurté de la tête la porte de la clôture, elle entra, lui étant assis dehors, et elle jeta à ses pieds le petit. Alors le saint l'ayant pris et lui ayant craché sur les yeux, fit une prière, et sur-le-champ il recouvra la vue. lit la mère l'ayant allaité et pris, s'en alla. [28] lit le lendemain elle a apporté au saint une toison de grande brebis. Et ainsi la bienheureuse Mélanie m'a dit ceci : « C'est de Macaire que j'ai reçu cette toison-là en présent d'hospitalité. » Et quoi d'étonnant si Celui qui a adouci les lions pour Daniel a rendu intelligente aussi la hyène?
Et il disait que depuis qu'il fut baptisé, il ne cracha point par terre, et il était dans sa soixantième année depuis qu'il fut baptisé. [29] Quant à son physique, il était un peu court, glabre, n'ayant de poils que sur la lèvre et au sommet du menton; car par suite d'un excès d'ascétisme, les poils de la joue ne lui avaient pas poussé.
Un jour que j'étais dans le découragement, j'allai le trouver, et je lui dis : «Abbé, que faut-il que je fasse? C'est que les réflexions m'affligent en disant ceci: Tu ne fais rien, va-t'en d'ici. » Et il me dit ceci : « Dis-leur : Moi, c'est à cause du Christ que je garde les murs. »
Entre beaucoup de faits de saint Macaire, j'ai signalé ce petit nombre-ci.