CHAPITRE XX.
Sédition excitée dans la ville.
Les guerres que l'Empereur Théodose avait à soutenir l'ayant obligé à faire de nouvelles impositions , le peuple d'Antioche se souleva, et ayant été extraordinairement irrité contre les partisans, qui levaient le tribut avec une extrême dureté, et qui étendaient sur le chevalet ceux qui n'avaient pas de quoi le payer, il se porta à tous les excès qui sont ordinaires en pareilles occasions, et sur tout abattit une statue de bronze de l'Impératrice Flaccille, et la traîna par les rues. L'Empereur indigné de cette insolence, ôta à la ville d'Antioche ses privilèges, et les donna à celle de Laodicée, qui avait de la jalousie contre l'autre depuis longtemps. Non content de cela, il menaça de mettre le feu à la ville, et de la détruire. Cependant le mal était plus grand que l'Empereur ne croyait ; car les habitants avaient tué quelques-uns des Magistrats. La loi que le grand Ambroise avait obtenue empêcha l'exécution de ces ordres violents. Elebéque Maître de la Milice, et Césaire Maître des Offices étant néanmoins allés pour les exécuter, tous les habitants fu- 312 rent saisis de frayeur. Les saints Solitaires qui demeuraient au pied de la montagne, usèrent de prières envers eux, pour les adoucir. Il y en eut un entr'autres nommé Macédonius, qui ne sachant rien des lettres sacrées, ni profanes, passait les jours, et les nuits en prières sur la cime de la montagne, qui étant au milieu de la ville, sans en être détourné, ni par la crainte de l'Empereur, ni par la présence des Officiers qu'il avait envoyés pour les mettre en exécution, prit le coin du manteau d'un des deux, et leur commanda à tous deux de descendre de cheval. Ayant considéré d'abord la caducité de son âge, la petitesse de sa stature, les trous et les pièces de ses habits, et le reste de son mauvais équipage, ils le méprisèrent, Mais quand on leur eut dit, que c'était un homme d'une singulière vertu, ils descendirent de cheval, lui embrassèrent les genoux, et le supplièrent de leur pardonner la faute qu'ils avaient faite, en ne lui rendant pas dés le commencement le respect qu'ils lui devaient. Alors cet homme rempli de la sagesse de Dieu leur parla en ces termes:
Mes chers amis allez dire à l'Empereur Vous n'êtes pas seulement Empereur, vous êtes aussi homme, et vous ne devez pas si fort vous arrêter à considérer la majesté de l'Empire, que vous ne fassiez réflexion sur les misères de la nature. Etant homme vous ne commandez qu'à d'autres qui sont hommes comme vous. Ces hommes-là ont été faits à l'image de Dieu. Ne commandez donc pas qu'on déchire cette image ; car vous ne la sauriez déshonorer sans offenser l'ouvrier qui l'a faite. Considérez encore, que ce n'est 313 que que pour une statue de bronze que vous donnés ces ordres cruels. Or il n'y a personne, à moins qu'il n'ait perdu le sens, qui ne voie qu'une image vivante vaut mieux sans comparaison qu'une image morte. Considérez encore qu'il est aisé de faire plusieurs statues, pour celle qui a été abattue, au lieu qu'il n'est pas possible de faire un cheveu pour tous les hommes qu'on aurait tués.
Les deux Officiers ayant rapporté à l'Empereur le discours de ce vieillard, apaisèrent sa colère, de sorte qu'au lieu de continuer ses menaces, il fit des excuses, et expliqua aux habitants en ces termes le sujet de sa douleur.
Il n'était pas juste, leur écrivit-il, que la mémoire d'une Princesse qui ne mérite que du respect, et de la vénération, fût déshonorée pour ma faute.
Il leur témoigna aussi qu'il était très-fâché du meurtre des Magistrats. J'ai fait un peu au long le récit déroute cette affaire, de peur que la généreuse liberté du saint Solitaire dont j'ai parlé, et la loi publiée sur les remontrances d'Ambroise ne sussent ignorées de la postérité.