XV.
Eh quoi donc! les épîtres des Apôtres sont-elles si variables? Ames simples et colombes innocentes jusqu'ici, nous sommes-nous jetés volontairement dans l'erreur par je ne sais quel désir de vivre? Qu'il en soit ainsi, je l'accorde. Dépouillons la lettre de son sens légitime. Toutefois, nous connaissons les tribulations des Apôtres; cette doctrine est palpable; pour la comprendre, il me suffit de parcourir le livre des Actes. Je n'en demande pas davantage; j'y rencontre partout des cachots, des fers, des flagellations, des lapidations, des glaives, des Juifs qui insultent, des nations qui se lèvent avec fureur, des tribuns qui diffament, des rois qui interrogent, des proconsuls qui dressent leurs tribunaux. Qu'est-il besoin du nom de César pour servir d'interprète? Pierre est mis à mort; Etienne lapidé, Jacques immolé, Paul étendu sur le chevalet avant d'être décapité; voilà des faits écrits dans le sang. L'hérétique veut-il des preuves à l'appui de ces livres? Eh bien! les annales de l'Empire1 prendront la parole comme autrefois les pierres de Jérusalem! J'ouvre la Vie des Césars; Néron, le premier, ensanglante à Rome le berceau de la foi. C'est alors que Pierre, attaché au gibet, est ceint par une main étrangère; alors que Paul obtient le titre de citoyen romain en renaissant à une nouvelle vie par la noblesse de son martyre. Partout où je rencontre ces souffrances, j'apprends à souffrir. Qui choisirai-je pour mes docteurs du martyre, les paroles des Apôtres? où l'autorité de leur mort? peu m'importe, sinon que je reconnais leurs paroles dans leur trépas. A coup sûr, ils ne se seraient pas exposés aux souffrances, si leur avis eût été qu'il ne faut pas souffrir. Quand Agabus prédit à Paul que la captivité l'attend à Jérusalem, aussitôt ses disciples le conjurent en pleurant de ne pas se rendre dans cette ville. Vaines supplications! Fidèle à ses enseignements de tous les jours, l'Apôtre leur répond avec courage: « Que faites-vous en pleurant et en affligeant mon cœur? Je suis prêt non-seulement à subir la prison, mais encore à mourir dans Jérusalem pour le nom du Seigneur. » Alors ils cessent de le presser: « Que la volonté du Seigneur soit faite, » disent-ils, bien convaincus que le martyre est dans la volonté de Dieu. En effet, les disciples de Paul, en essayant de le retenir, regrettaient l'Apôtre, mais ne dissuadaient pas le confesseur. Que si un Prodicus2 ou un Valentin eut murmuré à ses oreilles: « Il n'est pas besoin de confesser ici-bas le Seigneur à la face des hommes; n'allons pas surtout prétendre que Dieu ait soif du sang de l'homme, et que le Christ exige la réciprocité du martyre, comme s'il en attendait son propre salut, » il eût entendu de la bouche du serviteur de Dieu l'anathème que le démon avait entendu de la bouche du Seigneur: « Retire-toi, Satan, tu me scandalises, car il est écrit: Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu le serviras lui seul. » Eh bien! que ces mêmes paroles retombent aujourd'hui sur la tête du sectaire, puisque, long-temps après cette épreuve, il vient semer secrètement des poisons qui ne seront funestes à la faiblesse qu'autant qu'elle négligera de tremper ses lèvres au breuvage que nous lui présentons au nom de la foi, soit comme préservatif, soit comme antidote.
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Allusion à ce double passage de Tacite et de Suétone: « Quaesitis simis pœnis affecit Nero quos vulgus Christianos appellabat. » Annales, liv. 16. Afflicti suppliciis Christiani. Suétone, chap. 16, Vie de Néron. ↩
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Saint Clément d'Alexandrie attaque ce Prodicus au septième livre des Stromatés. Il l'accuse de rejeter la nécessité de la prière. ↩