CHAPITRE VII. DÉCOUVERTE DES CORPS DE SAINT GERVAIS ET DE SAINT PROTAIS.
15. L’Eglise de Milan venait d’adopter cette pratique consolante et sainte, ce concert mélodieux où les frères confondaient avec amour leurs voix et leurs coeurs. Il y avait à peu près un an; Justine, mère du jeune empereur Valentinien, séduite par l’hérésie des Ariens, persécutait votre Ambroise. Le peuple fidèle passait les nuits dans l’église, prêt à mourir (444) avec son évêque, votre serviteur. Et ma mère, votre servante, voulant des premières sa part d’angoisses et de veilles, n’y vivait que d’oraisons. Nous-mêmes, encore froids à la chaleur de votre Esprit, nous étions frappés de ce trouble, de cette consternation de toute une ville. Alors, pour préserver le peuple des ennuis de sa tristesse, il fut décidé que l’on chanterait des hymnes et des psaumes, selon l’usage de l’Eglise d’Orient, depuis ce jour continué parmi nous, et imité dans presque toutes les parties de votre grand bercail.
16. C’est alors que dans une vision vous révélâtes à votre évêque le lieu qui recélait les corps des martyrs Gervais et Protais. Vous les aviez conservés tant d’années à l’abri de la corruption, dans le trésor de votre secret, sachant le moment de les produire, pour mettre un frein à la fureur d’une simple femme, mais d’une femme impératrice. Retrouvés et exhumés, on les transfère solennellement à la basilique ambroisienne, et les possédés sont délivrés des esprits immondes, de l’aveu même de ces démons, et un citoyen très-connu, aveugle depuis plusieurs années, demande et apprend la cause de l’enthousiasme du peuple il se lève, il prie son guide de le conduire à ces pieux restes. Arrivé là, il est admis à toucher avec un mouchoir le cercueil où reposaient ces morts saintes et précieuses à votre regard ( Ps. CXV, 15). Il touche, porte le linge à ses yeux, ses yeux s’ouvrent. Le bruit en court sur l’heure; tout s’anime du vif éclat de vos louanges. Et le coeur de la femme ennemie, sans être rendu à la santé de la foi, n’en fut pas moins réprimé dans ses fureurs de persécution.
Grâces à vous, mon Dieu! où et d’où avez-vous rappelé mes souvenirs, pour que je révélasse, à votre gloire, ce grand événement que mon oubli avait passé sous silence. Et cependant, lorsque tout exhalait ainsi la fragrante odeur de vos parfums, nous ne courions pas après vous (Cantiq. I, 3)! Et c’est ce qui faisait couler de mes yeux, à cette heure, une telle abondance de larmes en écoutant vos cantiques. J’avais soupiré si longtemps après vous, et enfin je respirais tout l’air qui peut entrer dans cette chaumine d’argile.
