10.
Après le discours que nous avons rapporté dans le premier livre, nous passâmes environ sept jours sans discussion; nous relûmes lentement les trois livres de Virgile qui suivent le premier, et nous les étudiâmes comme il paraissait convenable pour le moment. Cependant ce travail alluma chez Licentius une telle ardeur pour la poésie que je crus devoir la modérer. Car il ne voulait plus consentir à s'occuper d'autre chose. Enfin pour recommencer pourtant â traiter la question des académiciens que nous avions ajournée, je louai de mon mieux la lumière de la philosophie, et il revint volontiers. Or, par hasard ce jour brillait d'un éclat si pur qu'il semblait en rapport avec la sérénité dont nos âmes avaient besoin. Nous quittâmes donc nos lits plus tôt que de coutume, et nous fîmes un peu avec les paysans ce qui pressait le plus. Alors Alype nous dit :Avant que j'entende votre discussion sur les académiciens, je veux qu'on me lise l'entretien que vous avez eu, m'avez-vous dit, en mon absence; car autrement, puisque la discussion présente est la suite de celle-là, il me serait impossible ou de ne pas me tromper en vous écoutant, ou de ne pas m'exposer à trop de fatigues. — Après avoir satisfait à sa demande, nous vîmes que la matinée était fort avancée et nous commençâmes à revenir du champ où nous nous étions promenés et à gagner le logis. Je t'en prie, me dit alors Licentius, daigne avant le dîner, me rappeler en peu de mots tout le système des académiciens, afin que rien ne m'échappe de ce qui est favorable au parti que je soutiens. J'y consens, lui dis-je, d'autant plus volontiers que, tout préoccupé de cette question, tu en dîneras moins. — N'y compte pas trop, me répondit-il, car j'ai vu beaucoup de gens, et surtout bien souvent mon père, qui n'avaient jamais plus d'appétit que lorsque leur esprit était plus soucieux. Et toi-même n'as-tu pas remarqué que lorsque j'ai la tête pleine de poésie, mon application ne met pas votre table en sûreté. J'ai même coutume de m'en étonner quand j'y pense. Car comment se fait-il que nous ayons plus vivement besoin de nourriture lorsque nous tournons notre esprit vers autre chose? Et pourquoi, alors que nos dents et nos mains sont si fort occupées, l'esprit prend-il un si grand empire ? — Ecoute plutôt , lui dis-je, ce que tu demandes sur les académiciens; je crains que, si tu continues à rouler ces mesures, je ne te trouve sans mesure , non-seulement pour manger mais encore pour interroger. Au reste, si je cache quelque chose pour rendre meilleur mon système, Alype le fera connaître. Nous avons en ce moment, dit Alype, grand besoin de ta bonne foi, car s'il est à craindre que tu ne caches quelque chose, il me parait bien difficile de surprendre celui qui, au su de tous ceux qui me connaissent, m'a appris ces choses : d'autant plus que, dans cette manifestation de la vérité, tu prends moins conseil de la victoire que de ton propre coeur.