21.
Ici ma mère ayant encore souri : Je n'accorde pas, dit Trygétius, que Dieu nous soit contraire, parce qu'il ne nous est pas propice. Mais il y a pour l'homme une situation intermédiaire. — Eh bien ! lui dis-je, cet homme placé dans une situation intermédiaire, cet homme auquel Dieu n'est ni propice ni contraire, crois-tu qu'il possède Dieu d'une manière quelconque? Trygétius hésitait. Autre chose est, dit ma mère, de posséder Dieu, autre chose de n'être pas abandonné de Dieu. — Eh bien ! lui dis-je, qu'est-ce qui vaut le mieux, de posséder Dieu ou de n'être pas abandonné de Dieu? — Autant que je puis voir clair en mon âme, dit-elle, voici ma pensée : Etre vertueux c'est avoir Dieu pour soi. Etre vicieux, c'est avoir Dieu contre soi. Mais quand on cherche Dieu, quand on ne l'a pas encore trouvé, on ne l'a ni pour soi, ni contre soi ; mais on n'est pas abandonné de Dieu. Est-ce votre avis, dis-je aux auditeurs? Ils répondirent affirmativement. — Répondez alors à cette question, repris-je N'a-t-on pas, selon vous, Dieu pour soi, quand on est favorisé de Dieu ? — Sans doute, dirent-ils. — Eh bien ! Dieu ne favorise-t-il pas celui qui le cherche? — Oui, il le favorise. — Celui qui cherche Dieu a donc Dieu pour lui, et tout homme qui a Dieu pour lui est heureux. Il est donc heureux aussi l'homme, qui cherche Dieu. Or, quand on cherche, c'est que l'on n'a pas encore ce que l'on veut. On sera donc heureux tout en n'ayant pas ce que l'on veut. — Non, dit ma mère, je ne crois pas que l'on puisse être heureux, quand on n'a pas ce que l'on veut. — Donc, repris je, quand on a Dieu pour soi, on n'est pas toujours heureux. — Si la raison exige cette conséquence, dit-elle, je ne puis la nier. — Ainsi, continuai-je, nous établirons la distinction suivante: Tout homme qui a trouvé Dieu a Dieu pour lui et il est heureux; mais tout homme qui cherche Dieu a Dieu pour lui, sans être encore heureux; et tout homme qui, par ses vices et par ses péchés s'éloigne de Dieu , non-seulement n'est pas heureux, mais n'a pas Dieu pour lui.